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Le marché des montres de luxe, d’apparence très conservateur, octroie une place importante à l’innovation. Ainsi, en 2010, Richard Mille révèle la montre la plus légère jamais produite, la RM 027, puis Vacheron Constantin dévoile en 2015 la référence 57260, la montre mécanique la plus compliquée au monde avec 57 complications, tandis qu’Hublot, avec la Big Bang e, fait de la montre connectée un objet de luxe.

Néanmoins, le processus d’authentification d’une montre, lui, demeure archaïque et inadapté : face à la valeur considérable des montres de luxe, comment concevoir que de nombreux acheteurs se fient encore au certificat papier pour attester de l’authenticité d’une Rolex Daytona ?

Rolex Daytona

Peu d’individus savent reconnaître dans les moindres détails un calibre 4130, pour les rares fois où la réplique n’est pas équipée d’un simple mouvement ETA 7750, voire d’un mouvement japonais comme le Miyota. Forcément, avoir le niveau d’expertise nécessaire pour distinguer un spiral Parachrom d’un simple spiral, ou encore, faire la différence entre un Paraflex et un incabloc n’est pas chose aisée !

Alors, pourquoi ne pas se servir de la technologie de la Blockchain pour révolutionner le processus d’authentification d’une montre ?

La Blockchain représente un registre de transactions distribuées qui améliore la transparence et la traçabilité. Appliquée au marché de l’horlogerie, celle-ci pourrait agir en tant que gage d’authenticité en permettant l’émission d’un certificat digital unique, infalsifiable et non duplicable pour chaque montre : une fois les caractéristiques renseignées sur la Blockchain, il est impossible de les modifier. De plus, l’émetteur du certificat digital serait publiquement connu, ce qui limite la création de faux.

Une des solutions, proposée par Guillaume Kuntz et Marc Ambrus, est le Watch Certificate, une carte métallique apposée d’un QR code renvoyant au certificat d’authenticité inscrit sur la Blockchain. Les maisons de luxe, elles aussi, cherchent à façonner le « passeport » de la montre pour leurs nouveaux modèles. Ainsi, LVMH développe aujourd’hui sa propre Blockchain, tandis que Breitling et Vacheron Constantin font confiance à la technologie d’Arianee pour développer des NFT associés à leurs produits. De même, Kering travaille main dans la main avec la startup française Woleet pour affilier tout produit Ulysse Nardin à un passeport digital inscrit dans la Blockchain du Bitcoin.

Néanmoins, une telle solution demeure faillible car elle se heurte aux limites de l’association d’un objet physique —potentiellement réplicable—à un NFT. En 2020, VIDT Tech a créé un NFT afin d’assurer l’authenticité d’un modèle iconique, une Milgauss 6541 datant de 1956. Mais VIDT Tech n’est malheureusement pas à l’abri d’une réplique Milgauss 6541 portant le même numéro de référence…

Alors, pourquoi ne pas faire du NFT et de la montre une même entité ? En insérant une puce RFID sous l’insert de la lunette, la montre elle-même deviendrait le NFT ! Il deviendrait impossible, ainsi, de vendre une montre sans son NFT, ou, inversement, de vendre le NFT avec une montre ne lui correspondant pas.

D’autant plus qu’aujourd’hui, Hitachi, une entreprise japonaise, est capable de produire des micro-puces RFID, de seulement 0,4 mm de longueur et de largeur. Vous me direz, mais qu’est-ce qui empêche un faussaire de vendre une réplique montée d’une lunette authentique ? A vrai-dire, rien… si ce n’est le coût. Le faussaire qui, jusqu’à maintenant, produisait des centaines de répliques pour une centaine d’euros, devra désormais ajouter à ses coûts de production le coût d’une lunette authentique ! Voilà de quoi le décourager et ainsi, réduire considérablement les risques de fraude !


Puce rfid

Une autre manière serait d’intégrer le NFT au verre saphir : c’est ce que propose aujourd’hui STISS, une entreprise suisse qui commercialise des verres saphir pour montre, avec une puce NFC intégrée au verre.

Mais, au-delà de décourager financièrement la contrefaçon, ce mécanisme en limiterait aussi la quantité. En effet, il est aujourd’hui possible de créer de multiples répliques pour une même montre produite par une maison horlogère, car un numéro de série peut être répliqué à l’infini. Par exemple, un faussaire peut créer une infinité de répliques portant le numéro de série 2R42F985 étant donné qu’il suffit de le graver sur la montre. Mais avec une telle solution, une seule réplique pourrait être fabriquée pour chaque montre sortie d’un laboratoire horloger, étant donné que le NFT associé n’est pas réplicable comme une gravure l’est. Une telle innovation permettrait de réduire considérablement le nombre de répliques en circulation, et ainsi, de limiter les fraudes : le faussaire ne pourrait créer qu’une seule contrefaçon pour chaque numéro de série sorti du laboratoire d’une maison horlogère.

Qui plus est, une telle innovation permettrait de réduire le nombre de vols de montre à l’arraché. En Île de France, les vols de montre sont en hausse de 31 % depuis début 2022. Dès lors, le certificat digital vient répondre à ce problème : sans certificat digital inscrit dans la Blockchain, la revente deviendrait plus difficile voire impossible. Ce faisant, la traçabilité de la montre serait assurée en permanence.

Patek Philippe Nautilus

Une telle traçabilité permettrait, également, d’améliorer la relation entre les maisons et les clients. En effet, et comme l’illustre la marque incarnée par l’esprit de Gérald Genta, « jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien pour les générations futures ». Il est donc bien rare qu’une montre de luxe ait un unique propriétaire au cours de sa vie et dans la plupart des cas, toute montre a un avenir sur le marché de la seconde main.
La Blockchain apparaît alors ici comme le meilleur moyen pour les maisons de luxe de connaître les propriétaires successifs afin d’entamer une relation personnelle avec eux via des moyens digitaux et même, créer une communauté autour de la marque. Voilà de quoi fonder les bases de la relation client qui manque tant dans le marché du luxe !

Enfin, à une ère où la division internationale des processus productifs est si importante, utiliser la technologie de la Blockchain permettrait de révolutionner aussi le processus de fabrication des montres de luxe, et non pas seulement leur processus de vente. En effet, l’inscription dans la Blockchain, à chaque étape du processus de production, vise à responsabiliser chaque intermédiaire intervenant sur la chaîne de production. Il devient bien plus aisé d’auditer la moindre déclaration de provenance, ce qui limite fortement les fraudes. Ainsi, chaque propriétaire serait capable de suivre l’ensemble du processus de fabrication de sa montre et d’attester, enfin, du « Swiss made » trop souvent contesté. Il deviendrait également possible de renseigner le cahier de maintenance dans la Blockchain afin de connaître l’historique de chaque montre et d’en créer son passeport digital.

Certes, une telle innovation peut s’apparenter à une volonté de mieux contrôler le marché de l’occasion. Mais, face à la montée en puissance des ventes en ligne, incarnée par la plateforme Chrono24, un passeport digital serait le bienvenu : outre l’amélioration qu’il procurerait quant à l’authentification de la montre, il assurerait une traçabilité permanente de cette dernière et permettrait même de faire adopter la technologie de la Blockchain dans d’autres secteurs.

Alors, êtes-vous enfin prêt à acheter une montre dont le certificat est dématérialisé ?

par Eytan ABECASSIS

Sources

• https://www.wired.co.uk/article/stolen-rolex-blockchain
• https://www.intotheminds.com/blog/blockchain-horlogerie-luxe/
• https://www.swissinfo.ch/fre/la-blockchain-française-pour-mieux-tracer-les-montres-suisses/46155352
• https://sifted.eu/articles/startups-are-fighting-thieves-by-putting-your-rolex-on-the-blockchain/
• https://vidtdatalink.medium.com/vidt-nfts-the-1st-use-case-explained-with-a-vintage-rolex-f9fda068ddac
• https://www.pinterest.fr/pin/handson-the-new-rolex-deepsea-dblue-dial-edition-live-photos–539657967841979409/