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Au lieu du slogan écologiste récupérer, recycler, réutiliser, certaines marques et motoristes retrouvent, retravaillent et reproduisent. Coup de projecteur sur cette autre face de l’horlogerie : créative sans innovation.

La réutilisation de concepts, produits ou objets préexistants réunit la grande majorité des horlogers. La plupart des marques utilisent des mouvements dont l’invention remonte à des dizaines d’années. Et nombre d’entre elles puisent leur légitimité dans le passé. Mais entre l’héritage historique et la récup’, il y a un pas. Les acteurs qui font du recyclage à dessein sont les plus divers et improbables. On y retrouve pêle-mêle Antoine Preziuso, Sellita, Chronoswiss, Panerai ou Zenith. Leur point commun ? Ils font du neuf avec du vieux. Les fâcheux penseront tout de suite « ah, les arnaqueurs, ils ne se sont pas foulés ». Seulement la chose n’est pas aussi simple qu’il y parait. Et elle n’a rien de déshonorant non plus.

Retrouver : le vieux neuf
En anglais, on dit NOS, pour New Old Stock. Un quart de siècle après la crise du quartz, il existe encore des greniers, des fonds de tiroirs et des recoins de granges où sommeillent de petites merveilles. Car le nombre de calibres historiques et jamais utilisés qui trouvent leur chemin dans une montre depuis cinq ans est proprement ahurissant.

Cinq calibres tourbillon régulateur d’observatoire de 1928 de l’école d’horlogerie de la vallée de Joux chez Antoine Preziuso. Trois blancs de chronographe monopoussoir et répétition à quarts LeCoultre des années 1890 chez Pierre DeRoche (émanation du motoriste Dubois Depraz). 25 calibres de chronographe Minerva 16’3/4 dans la « nouvelle » Mare Nostrum PAM 00300 de Panerai. La marque italienne n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai, un chronographe monopoussoir d’époque et lui aussi Minerva avait équipé une montre Ferrari de 2008 et la PAM 0021 du début des années 90 embarquait un calibre Rolex 618.
Kari Voutilainen retravaille des calibres Peseux et Valjoux et les redécore avec le soin qui lui est propre.
La défunte marque Favre Leuba avait exhumé des calibres A. Schild à 36 000 alt/h. Quant à Henri Duvoisin, il remboîte après l’avoir décoré trois magnifiques Valjoux 5 des années 1910, mais aussi des FEF (Fleurier Ebauches) 5 de 1950.
Le quasi inconnu Tilmann v.d.Knesebeck a retrouvé des ébauches Henry Moser qu’il loge dans une pendule de table. Enfin, Breitling cache l’origine du calibre à quantième perpétuel et répétition minutes de la montre de poche Masterpiece qu’il consacre à Bentley.
A chaque fois, la provenance est secrète. A chaque fois, la quantité est ultra limitée. Et le retentissement médiatique n’en est que plus fort. A l’opposé, certaines histoires ne font pas l’objet de campagnes de communication.

Renaissance
Ainsi, quand Zenith mit la clé sous la porte dans les années 80, des caisses entières d’ébauches de calibres El Primero furent données, confiées, dispersées. Idem pour les machines. La mise à la casse de l’industrie horlogère helvétique avait alors atteint son sommet le plus imbécile. Quand Zenith chercha à renaître, ce fut presque de zéro et elle dût retrouver ces ébauches. Une bonne partie se trouvait alors chez Girard Perregaux, qui la revendit.

Retravailler : la transfiguration du vieux

Dans un autre genre, plus rare, quelques marques désemboîtent, retravaillent et remboîtent des calibres qui ont quelques décennies au compteur. La démarche a parfois lieu à l’initiative d’un client. Propriétaire d’une vieillerie irrattrapable ou démodée, il a conscience de la valeur potentielle du mouvement. Il demande à ce qu’il soit sauvé et rhabillé, au sens horloger comme au sens vestimentaire. Mais l’antiquité en question peut tout simplement être chinée par l’horloger.

Golay Spierer retrouve, sauve et embellit des calibres Buren 1322 à micro rotor, des Venus 140 ou 178. Benzinger, squeletteur graveur allemand de Pforzheim, s’est fait une spécialité de la redécoration de calibres anciens après restauration. Il utilise des Patek Philippe ou Vacheron Constantin pour son haut de gamme.
Quand on compare les prix (assez raisonnables) qu’atteignent des montres de poche simples de ces marques et le prix que l’on peut tirer de leurs mouvements après y avoir mis son grain de sel, de burin et de bocfil, on se dit que le calcul n’est pas bête.

Record du monde
Cela dit, la démarche peut prendre des proportions bien plus complexes et nobles.
Dans les années 90, Paul Gerber s’est attaché à compliquer à outrance. En 1992, le prometteur Franck Muller se voit confier un Louis-Elysée Piguet de 1892 à répétition minutes et grande sonnerie. Il y ajouta un quantième perpétuel rétrograde et un thermomètre. Mais le propriétaire anglais ne comptait pas s’arrêter là. Il voulait la montre la plus compliquée du monde. Il la confia donc à Paul Gerber qui y ajouta un tourbillon volant après trois ans de travail, puis un chronographe à rattrapante et double retour en vol complété par un indicateur de réserve de marche. Ce qui lui prît la bagatelle de 8 ans supplémentaires. Avec 1116 composants, elle resta la montre de poignet la plus compliquée du monde jusqu’à l’Aeternitas Mega 4 de Franck Muller, sortie en 2009.

Reproduire : le domaine public

La majeure partie des mouvements utilisés aujourd’hui sont tombés dans le domaine public. C’est en particulier le cas du Valjoux 7750 et de l’ETA 2892. Eux et leurs variantes équipent la majorité des montres mécaniques du marché. Ce sont des standards que tous les horlogers et services SAV connaissent. De nombreuses marques les utilisent, que ce soit montés, en kit décorés ou en blanc. Ils servent de base à un nombre incalculable de modules de complication. En plus d’être les Alpha et Omega du marché, ces mouvements sont l’objet de contentieux commerciaux depuis des années. Le défunt Nicolas Hayek, président du Swatch Group, n’a eu de cesse d’annoncer depuis 2002 qu’il voulait réduire ses livraisons d’ébauches ETA pour se concentrer sur des mouvements finis à plus grande valeur ajoutée. Par cela, il cherchait à obliger les marques à plus d’honnêteté quand elles rebadgent le mouvement sous leurs propres références sans prévenir le public. Et aussi parce qu’en période de crise, les marques en question ont annulé une grosse partie de leurs commandes. Or on ne laisse pas le plus gros fabricant de mouvements le bec dans l’eau. Surtout quand il est une filiale du plus grand groupe horloger et qu’il s’est construit une position industrielle absolument incontournable, certains diraient même dominante.

Réapprovisionner la filière
Pour aggraver les choses, le Swatch Group et ses filiales n’arrivaient pas à suivre le rythme des commandes pendant le boum du milieu des années 2000. Face à des délais de livraison qui ne cessaient de s’allonger, certains ont compris qu’il n’y avait pas de raison de faire compliqué quand on peut faire simple.
Ils s’appellent Sellita, Soprod, Concepto ou Dubois Depraz. Ils fabriquent des clones ETA en même temps qu’ils en assemblent des ébauches pour compte de tiers. Les plans et les processus d’assemblage sont connus de tous. L’enjeu se situe dans la partie fabrication. En effet, après des décennies de production, ETA connaît ses machines, ses hommes, ses produits et processus sur le bout des doigts. D’autant que les quantités qu’il a sorties sont colossales (des dizaines de millions d’unités).
Difficile d’obtenir des chiffres fiables sur ces clones, tant sur les quantités produites que les taux de retour SAV. Une chose est sûre, ils sont une bouffée d’air, de liberté et d’indépendance dont le marché horloger avait besoin. Pour les mouvements plus haut de gamme, les choses sont différentes. Certains calibres nobles sont des références et sont utilisés depuis des années, comme le Lemania 2310 qui sert chez Omega, Breguet, Vacheron et Patek, ou le Piguet 1185. Mais cette catégorie, on ne reproduit pas, on ne copie pas. On se différencie, on innove et on appose le cachet « manufacture » ou « exclusif ».

Redorer le blason
Certaines marques et industriels jouent la carte de l’innovation. Ils inventent de nouveaux matériaux, technologies, usages, complications, présentations, modes de lecture. Ils s’appellent DeBethune, MB&F, Harry Winston Opus, Greubel Forsey, Urwerk, Ulysse Nardin, Renaud & Papi pour ne citer qu’eux. D’autres marques sont dans la perpétuation d’un mode d’exécution horloger dans ce qu’il a de plus noble. Ils décorent, construisent et assemblent selon des canons classiques, souvent sur la base de calibres déjà anciens. Et quand ils inventent, ils habillent leur nouveauté en costume trois pièces avec chapeau et redingote. Ce sont les Patek Philippe, Laurent Ferrier, Philippe Dufour, Vacheron Constantin,
Lange&Söhne, Breguet et on en passe.
Les recycleurs sont à mi-chemin. Leur matière est ancienne, mais leur manière de la travailler est moderne, forcément moderne. Qui peut dire qu’ils ont démérité ? L’idée de faire revivre un objet ancien ou mettre au service du plus grand nombre un outil solide et efficace, voila déjà de la pertinence, voire de la noblesse.

Par David Chokron