6 min 2 ans 3273
publié en MARS 2009

Qualité, origine, régularité de marche, les trois… La vogue des certifications horlogères semble soudainement portée par une imposante dynamique.

Après Patek Philippe et son poinçon propre annoncés en mars dernier, voici qu’arrive le Poinçon du Jura.  Lancée par E-Light, société installée à Bassecourt active dans le développement de composants horlogers et de calibres, cette certification ne pourra être exploitée que par les marques intégrant un calibre produit par l’entreprise.

La seule compagnie  à utiliser actuellement ledit label jurassien est Wyler, ancienne marque suisse passée sous contrôle du groupe italien Binda et basée à Genève.

Foin de ce joyeux mélange des genres géographiques, la naissance de ce poinçon appelle quelques remarques dans la mesure où, si  la démarche d’E-Light est commercialement finaude, cette certification met en lumière quelques facettes de l’univers horloger.

On pourrait déceler dans le Poinçon du Jura un signal positif dans la mesure où il permet de (re)valoriser une région et un  canton riches de compétences dans les domaines micro-mécanique et de haute technologie liés à l’horlogerie. Le centre du monde horloger n’est de loin pas limité à Genève, comme en témoigne d’ailleurs également la récente reconnaissance patrimoniale des deux villes des Montagnes neuchâteloises par l’Unesco.

Mais il convient surtout de ne pas perdre de vue que la multiplication des poinçons et autres certifications (qu’ils soient le fait de marques ou d’origine géographique) renforce nettement l’impression qu’ils ont valeur d’arbustes menaçant de cacher la forêt du Swiss Made, qui reste plus que jamais un enjeu central pour l’ensemble de l’industrie horlogère au-delà des appellations existantes et à venir. L’obtention du Swiss Made, pour bref rappel, impose notamment que la valeur du mouvement soit helvétique à hauteur de 50%.

« Le processus de renforcement du Swiss Made », rappelle le patron de la Fédération Horlogère Suisse Jean-Daniel Pasche, « est en cours de consultation et s’inscrit dans le cadre plus large du projet Swissness touchant à l’ensemble des produits suisses». Initié par le Conseil fédéral, il vise à définir une limite de 60% de valeur suisse dans les produits helvétiques, toutes branches confondues.

Dans le cas de l’horlogerie et pour autant que ledit projet aboutisse au terme d’un long cheminement politique, ce taux correspondrait à celui tel que projeté par la FH et ses membres en 2007 pour les montres électroniques, alors que la valeur proposée pour les montres mécaniques avait été portée à 80%. En cas d’aboutissement du projet Swissness, « l’objectif défini pour les montres électroniques serait atteint alors que pour les montres mécaniques, nous proposerions une modification de l’ordonnance pour atteindre le 80% retenu », poursuit Jean-Daniel Pasche.

Au-delà de sa nature juridique techniquement complexe, le débat sur le Swiss Made est l’un des serpents de mer de l’horlogerie. Tel que défini et pour la jouer courte, il permet à nombre de marques (parfois non des moindres) d’offrir au client un produit estampillé Swiss Madeet porteur dès lors de valeurs qualitatives puissantes mais dont les origines de fabrication sont étrangères pour l’essentiel, chinoises le plus souvent.

Si la décennie précédente fut celle de l’impasse sur ce sujet, l’environnement concurrentiel a changé et le tabou s’érode quelque peu. Emergence d’une horlogerie Made in Germany brillamment revitalisée par Günther Blümlein avec Lange & Söhne dans la seconde moitié des années nonante, timides tentatives d’un Made in France ressuscité, apparitions épisodiques d’un Made in Italy, maîtrise technique duMade in Japan attestée avec talent par Seiko….. Le front helvétique n’est plus seul au monde dans le marché horloger global, même si la « suissitude » galope encore en tête de peloton.

De là, cette initiative de distinction géographique initiée par un fournisseur de mouvements s’apparente surtout à ce genre de cacahuète marketing lancée en pâture à une poignée de compagnies, qui doivent absolument chercher le facteur décisif de différenciation, d’image qualitative et de légitimité que leur produit peine, où n’arrive pas, à générer.

Quant à l’exclusivité du poinçon jurassien, on en reparlera lorsque plusieurs marques seront approvisionnées par E-Light et que toutes se prévaudront de la certification….

Par Pascal Brandt