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Publié le 17 DÉCEMBRE 2013

Quand vous étiez enfant, dans quel métier vous rêviez-vous ?

Le moteur à explosion, les pistons, les soupapes, etc.. pour une finalité : la course automobile. La performance technique, mais aussi humaine pour gagner la course ou être parmi les meilleurs.

Comment êtes-vous entré en horlogerie ?

En fait, La Chaux-de-Fonds ce n’est pas Turin, Bologne ou Maranello. L’industrie technique c’est la montre. L’orientation professionnel (un organisme qui aide les adolescents à choisir leurs métier) m’a orienté dans l’horlogerie. C’était clair, si je voulais « défouler » mon envie de la mécanique et rester dans la région, alors il fallait choisir l’horlogerie. Sinon, il y avait l’informatique, mais tous les copains se ruaient dessus.

Difficile, les années d’apprentissage ? Y a-t-il eu des moments de doutes ? Avez-vous eu envie d’arrêter ? Pourquoi avez-vous continué ?

Avec le recul, quel conseil donneriez-vous aux jeunes apprentis horloger aujourd’hui ?

En première année du Technicum de La Chaux-de-Fonds (1980), nous étions deux apprenants. Le programme de la première année était l’apprentissage de la micromécanique et les machines-outils traditionnelles (Tours 70 et 102, machines à pointer, fraiseuses, limes, burins, etc..). Maintenant, j’affirme que c’était absolument fondamental, mais à la fin de la première année je croyais que l’horlogerie c’était « seulement » cela. De plus, mes profs de math et de physique me poussaient à changer de métier et à devenir ingénieur par exemple, quant à mon camarade de classe, il quittait l’horlogerie pour carrément autre chose. 
J’entendait beaucoup d’adultes qui me disait : « Pas d’avenir dans l’horlogerie »… Quelles décisions prendre ? Continuer encore 3 ans comme horloger-rhabilleur ? Ou encore 6 ans pour ingénieur ETS ? 
J’ai opté pour « vaut mieux être le meilleur artisan horloger » qu’un anonyme ingénieur parmi d’autres…

D’y croire, de s’y intéresser. 
Horloger-rhabilleur ce n’est pas un métier, mais plusieurs métiers ; ce n’est pas un travail, mais un hobby, une passion. Dans le meilleur des cas il y aura un futur serein et dans le pire des cas un futur serein. Quand on est horloger on sait faire beaucoup de choses, on ne sera jamais au chômage.

Les côtés passionnants et rébarbatifs de votre métier ?

Ce qui est passionnant pour moi peut être rébarbatif pour un autre je crois. Mon côté passionnant c’est la créativité et l’analyse, c’est aussi la satisfaction de contempler ma « créature » en train de « naître » ; bien entendu que c’est une métaphore, mais je veux insister sur le mot satisfaction. 
Quant aux côtés rébarbatifs, ils y en a sûrement, mais je délègue (rires)… c’est toute la partie administrative, mais heureusement qu’il y a des collaborateurs qui se passionnent pour cette partie.

Tous les jeunes horlogers rêvent de travailler sur les « complications ». Est-ce judicieux de s’y lancer le plus vite possible, ou faut-il parfaire ses armes sur des calibres de base avant ?

L’impression personnelle et sans vouloir créer de polémique, je pense que la passion sincère d’un jeune horloger compense son manque d’expérience.

Au vu des millions de calibres mécaniques produits par année, l’industrie horlogère suisse aurait besoin d’environ 500 nouveaux horlogers par an. Or les écoles n’en forment que 50 à 60 ! 
Pourquoi d’après vous, et comment faire pour susciter plus de vocations ?

Les écoles d’horlogerie manquent de profs. Le compte est fait, pas de maîtres de classes, pas de classes supplémentaires et donc pas d’apprenants en plus. 
Pourquoi ne pas engagé plus de maîtres ? La qualité d’enseignement est étroitement liée aux maîtres de classes et les bons horloger susceptibles de devenir des maîtres de classes ne sont pas légions. Par contre, je ne connais pas la réponse quant à la difficulté de recrutement de la part des écoles. Quant à moi je serais bien tenté d’aller enseigner à l’école, mais j’ai d’autres priorités, vous vous en doutez bien. 
En conclusion de ma petite analyse, le manque de vocations c’est du côté de l’enseignement et pas du côté des jeunes désireux d’apprendre ce métier. Je crois que la bonne question est : Que faire pour que de bons horlogers décident de devenir profs à l’école d’horlo, afin d’ouvrir des classes supplémentaires ?

Horloger et constructeur horloger, comment passe-t-on de l’un à l’autre ?

Être constructeur, pas seulement en horlogerie, mais en bâtiment, en automobile ou en centrale nucléaire est un état d’esprit. On l’est dans l’âme et difficilement on peut le devenir et parfois on découvre assez tard que l’on est constructeur. 
Dans cette réponse, il faut y voir une relativité, ce n’est que mon impression intérieure. Les études de construction servent à connaître les outils de constructions. Comment faire un dessin, par exemple ou comment calculer les résistances ou les bilans énergétiques. La créativité c’est tout autre chose, c’est la capacité de rêver.

Avec Caroline Sermier, vous avez créé ce magnifique livre sur les finitions horlogères que nos internautes ont la chance de découvrir chapitre par chapitre sur notre site tous les mois. 
Quel a été l’élément déclenchant dans l’écriture de ce recueil ?

L’écriture de ce recueil est le résultat de différentes situations. 
Le tout a démarré quand M.Dimitri Xantos m’a demandé d’écrire un résumé de la montre à complication sur un petit fascicule intitulé « Lexique du génie horloger ». Ensuite, j’ai écris un mémorandum de 8 pages sur les montres à complications pour une explication claire. 
Ce mémorandum est distribué à nos clients, aux vendeurs ou aux passionnés. Il fallait aussi un petit manuel de formation interne pour l’anglage, mais la rédaction didactique sur le sujet a démarré quand un magazine italien m’a demandé de développer le sujet. Ce magazine a fait faillite, mais nous avons continué d’écrire les articles. 
Les éléments déclencheurs pour regrouper les différents écris et en faire un livre sont multiples. Nous avions pris connaissance que des montres haut de gamme étaient vendues en faisant croire aux clients que la qualité des finitions était haute, alors qu’elle était basse. Il fallait publier ce livre pour informer les clients de l’existence de plusieurs niveaux de finitions et comment apprécier ceux-ci. 
Un autre facteur est le poinçon, de Genève ou de Fleurier ou de… nous on préfère montrer et démontrer le savoir-faire, l’expliquer et l’observer directement sur nos produits. Le poinçon est un gage de qualité apprécié par des fonctionnaires, mais la qualité du produit est-il observable ? Le livre devrait, on l’espère, répondre à ces questions délicates, mais il est dédié aussi aux apprentis, aux passionnés, aux professionnels et aux vendeurs.

Qu’est-ce qui vous a fait monter votre propre société ?

L’envie de travailler sur des montres à complications. 
En 1985 je travaillais chez Audemars Piguet dans l’atelier des spécialités et faisais des montres squelettes, j’avais l’espoir de travailler sur des complications, mais on me disait qu’il fallait 20 ans d’expérience. Bon, j’ai décidé de les faire moi-même et tout de suite et j’ai embarqué Dominique Renaud à La Chaux-de-Fonds en 1986.

Etre horloger et manager de société en même temps, est-ce compatible ? Quelles sont les plus grandes difficultés ?

Je délègue tout le côté administratif. Le directeur général, Fabrice Deschanel, n’est pas horloger, mais docteur en productique. 
Le management est basé sur une sereine responsabilité de chacun. En clair, tout seul je ne ferais rien du tout, un grand merci à tous mes précieux collaborateurs.

Un de vos plus beaux souvenirs horlogers de ces dernières années ?

La présentation officielle du « Tourbographe » chez Lange & Sohne. Je crois que c’est une de mes plus belles réalisations.

Votre entreprise a connu un développement phénoménal sur les 5 dernières années, tant au niveau de l’intégration de l’outil industriel, du nombre de calibres créés par année et évidemment du nombre d’employés. Quelle a été la plus grande difficulté dans cette croissance et comment voyez-vous l’avenir ?

Augmenter la qualité, nous avons réussi à augmenter la quantité et la qualité. Cela n’a pas été facile, même parfois très difficile. Par contre ce que j’aime ça… Sur l’avenir, j’écoute et je lis les opinions des autres, je regarde et j’analyse, entre temps le temps passe et l’avenir est repoussé pour plus tard. Les dangers peuvent être interne à la Suisse, l’horlogerie a tellement peu intéressé les Suisses que le tissu industriel c’est effiloché. Pour ma part je vois l’avenir en rose.

Audemars Piguet Renaud et Papi a longtemps oscillé entre tradition et innovation. De quel côté penche votre coeur ?

L’esprit traditionnel de l’horlogerie est orienté vers le progrès, vers la recherche technique et technologique, vers l’innovation. 
L’horlogerie ne s’est pas arrêtée en 1890 ou en 1930. Nos prédécesseurs ont conçu l’horlogerie dans un esprit innovateur.

Votre vision de l’horlogerie haut de gamme dans 10 ans

Une horlogerie exclusive, encore plus belle, de meilleures qualités ; bien entendu mécanique, mais encore plus fiable. Chaque marque défendra son approche, les montres seront différentes d’une marque à l’autre, mais chacune aura sa place.

Questions forum

Verra-ton un jour une montre avec Giulio Papi sur le cadran ? On imagine bien que pour débuter, les moyens des grandes manufactures sont nécessaires pour matérialiser sa créativité, mais après plusieurs années d’expérience, la reconnaissance indirecte du marché pour son talent… n’est-il pas un peu frustrant de créer et laisser aux autres les lauriers ? Et puis on ne peut pas faire tout ce que l’on veut lorsqu’on a un cahier des charges à suivre, j’imagine.

Une marque, celle des autres ou la mienne, a forcement une identité. Cette identité va marquer le cahier des charges. 
Cela signifie que même si je travaillerais que pour MA marque, je vais avoir des limites imposée par MON cahier des charges. 
A ce moment là, j’aurais quatre options:

  1. Continuer à créer pour ma marque et la marque des autres
  2. Inventer plusieurs identité à ma marque
  3. Un mélange des deux précédents
  4. Je laisse tomber ma marque

D’après la réponse vous aurez compris que j’y pense a ma marque, mais pas par frustration de manque de reconnaissance ou de limitation créative. 
Les gars, c’est pas simple, parce que le soucis majeur ce n’est pas la mise en place d’une marque. Vous l’avez bien dit: « après plusieurs années d’expérience, la reconnaissance indirecte du marché pour son talent… » 
Voici le scénario: 
Première année: Ah tiens, Giulio a créé sa marque, c’est sympa, je vais en acheter une. 
Deuxième année: Ah oui, c’est bien il a changer de cadran, mais je ne sais pas si vais l’acheter. 
troisième année: Quel est le prochain créateur horloger qui va sortir sa marque ? 
Mais franchement parlant je suis très tenté de faire ma marque…

Quel point de vue sur la pendulerie ? des projets ?

J’adore la pendulerie et j’ai des projets. Mais il me faut aussi cinq vies pour réaliser toutes mes idées. Ou alors je devrais devenir l’entrepreneur de mes idées et projets. En déléguant et en organisant, mais il faut des sous et beaucoup.

Une montre mécanique simple belle correctement finie et pas chère, c’est du passé ?

Oui c’est du passé. 
La montre simple belle correctement finie et pas chère, ça existe, mais c’est le quartz ou alors le 2892 de ETA ou le 7750 Valjoux. 
Pour plus chère, il y a du Jaeger-Lecoultre ou du Frédérique Piguet. La liste n’est pas exhaustive…

Utilisez-vous le prototypage rapide ? Si oui, que validez-vous avec les pièces prototypées : Design ? Fonctionnalités ? Sont-elles obtenues en vrai matière ? Sont-elles obtenues par le vrai procédé ? … Si non, pourquoi ?

Actuellement nous n’utilisons pas le prototypage rapide. Pour valider un mécanisme, nous procédons à différentes étapes:

  1. La maquette en plastique à l’échelle 10. Pour valider uniquement la cinématique (la séquence des fonctions)
  2. La maquette virtuelle pour l’optimisation des énergies et autres
  3. La maquette à l’échelle 1, pour la validation finale. Pour la validation finale nous avons besoin des matières utilisées dans la série.

Nous ne connaissons pas de prototypage rapide qui nous fournis l’acier et le laiton que nous utilisons dans la série.