L’histoire des débuts de l’industrie horlogère japonaise est intéressante à divers titres, mais particulièrement au point de vue du système de computation du temps en usage dans le Japon d’autrefois et par la valeur artistique et l’intérêt historique des anciennes pendules japonaises.
En voici un bref résumé.
Après la révolution de 1867, qui marqua la fin du pouvoir civil du shogounat des Tokougawa (1), le Japon passa sous l’influence occidentale. L’heure et le calendrier européens entrèrent en vigueur le ler janvier 1873. Ainsi, la totalité des pendules et garde-temps japonais furent périmés d’un seul coup et tombèrent aux mains d’amateurs de curiosités et d’acheteurs européens et américains. Pour les remplacer, le Japon importa d’Europe des pendules et des montres.
1) Famille japonaise dont l’un des plus illustres représantants. lyeyasu, au début du XVIIe siècle, s’empara du shogounat (ou régence) que ses descendants conservèrent jusqu’en 1868, dace de la restauration impériale. Les Tokougawa donnèrent ainsi au Japon ses quinze derniers shogouns. – Réd.
Disons premièrement quelques mots de la mesure du temps durant l’ère des Tokougawa. La méthode en usage était d’origine chinoise et comportait deux systèmes horaires.
L’un était le système équinoxial ou système horaire original chinois, et était utilisé par les astronomes japonais.
L’autre était le système de l’heure civile, telle que fournie par les pendules utilisées par la société japonaise durant la période des Tokougawa. Il faut veiller à ne pas confondre ces deux systèmes. L’un est indiqué sur les cinq cercles extérieurs du cadran (fig. 1), et l’autre sur les quatre cercles intérieurs. Le cercle extérieur indique l’heure européenne, midi se trouvant en haut et minuit en bas. Le second cercle donne l’heure équinoxiale japonaise, qui commence par l’heure du Rat. Ici le signe du zodiaque représente le milieu de la période horaire, ainsi, l’heure du Rat commence à 11 h. du soir et finit à 1 heure du matin, pour faire place à l’heure du Taureau.
Une heure équinoxiale japonaise équivaut à deux heures occidentales, l’heure équinoxiale n’étant pas de longueur variable. Le troisième cercle depuis l’intérieur se rapporte à l’heure civile, qui commence au crépuscule, par l’heure du Coq.
Dans le système horaire civil, l’heure du Rat dure de minuit à 2 heures du matin, en admettant qu’une heure civile soit égale à deux heures occidentales. Les pendules sonnent au début de l’heure du Rat, soit à minuit. Dans ce système, chacune des périodes allant du crépuscule à l’aube et de l’aube au crépuscule était divisée en six parties égales, mais la durée des périodes variant suivant les saisons, la durée des divisions était plus ou moins longue suivant l’époque de l’année. Les Japonais réglaient leurs pendules chaque quinzaine, soit vingt-quatre fois par année. Si nous parlons « d’heures » par rapport aux pendules japonaises, il ne faut pas entendre par là des périodes de soixante minutes, mais des périodes dont la durée varie constamment.
Le second cercle intérieur du cadran indique le nombre de coups frappés par les pendules, en relation avec le signe correspondant du zodiaque. Les Japonais comptaient les heures à reculons. Le chiffre le plus élevé, 9, était attribué à midi et à minuit, la progression de « l’heure » étant représentée par les chiffres 9, 8, 7, 6, 5, 4, chacune des deux périodes du jour comportant six chiffres.
Voir ci-dessous le tableau des deux systèmes horaires japonais.
Par « pendules japonaises », il faut entendre celles qui furent fabriquées durant l’ère des Tokougawa, et selon le système japonais de supputation du temps. Ce sont plutôt des oeuvres d’art que des garde-temps précis. Elles peuvent se diviser en trois catégories principales :
- Les pendules-lanterne, qui fonctionnaient par des poids, et étaient posées sur une étagère ou suspendues par un crochet. (Fig. 2.)
- Les pendules-console, qui étaient des pendules portables, mues par ressort et logées dans des coffrets de bois laqué. Elles se posaient sur une console ou sur un meuble. (Voir fig. 3, 4, 5, 6, 7.)
- Les pendules-piliers fonctionnaient par poids et avaient la forme de coffrets hauts et étroits. Elles étaient suspendues à un pilier de la maison ou à tout autre appui fixe. Celles-ci n’ont aucun parallèle européen. (Voir fig. 8.)
Outre ces trois genres principaux, il y avait encore les pendules « fantaisie », car les artisans japonais obéissaient volontiers à leur imagination. Ils produisirent une grande variété de pièces, dont plusieurs étaient des imitations de modèles européens. (Fig. 9 et 10.)
C’est vers 1542 que les Portugais découvrirent le Japon et furent autorisés à faire du commerce dans les ports de Kyushu. François Xavier, le missionnaire jésuite, y arriva en 1549.
En 1551, il introduisit au Japon la première horloge européenne qu’il offrit en cadeau au gouverneur de Yamaguchi, à Suwa, de la part du vice-roi des Indes, en vue d’obtenir la permission pour les Jésuites d’enseigner le christianisme. C’était probablement une petite pendule à sonnerie, genre lanterne, fonctionnant par poids, avec échappement à verge, telles qu’elles étaient alors en usage en Europe.
En 1541, quatre chevaliers japonais chrétiens, de Kyushu, revenant d’un voyage en Europe au cours duquel ils étaient allés rendre hommage au pape offrirent une horloge à un gouverneur japonais. Hideyoshi Toyotomi.
En 1606, à Fushimi près de Kyoto, l’évêque-député du district jésuite japonais, Joao Rodrieguez, offrit une pendule à Iyeyasu, fondateur du shogounat de Tokougawa. Un envoyé du gouverneur du Mexique lui fit un cadeau semblable en 1612, à son palais de Shizuoka. Celle-ci est la plus ancienne pendule occidentale connue au Japon. Elle se trouve actuellement dans le temple de Toshogu, à Shizuoka. Elle mesure 20 cm de haut et est faite en laiton et équipée d’un mouvement en fer. Elle fut fabriquée par Hans, à Madrid, en 1581.
Les missionnaires jésuites introduisirent au Japon un grand nombre de pendules européennes. Sans doute ne furent-elles pas toutes utilisées dans les églises. Quelques-unes furent offertes en cadeau au shogoun et à la noblesse. Il y avait, parmi les pères jésuites, des horlogers fort adroits qui ne se contentèrent pas de fabriquer des pendules, mais enseignèrent aussi leur art aux forgerons japonais dans des séminaires, d’abord dans le district de Kyushu, puis dans celui de Kyoto, entre 1575 et 1612.
A l’époque de Iyeyasu, le bruit se répandit qu’un for¬geron très habile, Sukezaemon Masayuki Tsuda, avait fait une réplique exacte d’une pendule européenne. Sans doute avait-il acquis ses connaissances d’horlogerie dans un séminaire jésuite. La pendule du shogoun s’étant arrêtée, on chercha un mécanicien capable de la réparer. On découvrit Tsuda qui fut emmené à Shizuoka. Il répara la pendule du shogoun, puis en fabriqua une seconde de toutes pièces. d’après le modèle de la première. Pour le récompenser, le shogoun le prit à son service. Pus tard Tsuda fut envoyé à Nagoya chez le fils de Iyeyasu, qui était seigneur d’Owari. Celui-ci le nomma son horloger personnel et chef de tous les horlogers et forgerons d’Owari.
Les descendants de Tsuda continuèrent à exercer le métier d’horlogers jusqu’à l’ère de Meiji. (XIXe siècle.) C’est à lui que remonte l’origine de l’industrie horlogère très prospère de Nogoya, l’un des centres horlogers du Japon. D’après la signature et les noms de localités figurant sur les pendules, ou les renseignements puisés dans les archives, les principaux centres horlogers du Japon sous les Tokougawa, étaient : Tokyo, Nagoya, Kyoto, Osaka et Nagasaki. (Voir plus loin la carte du Japon.) Aujourd’hui encore l’industrie horlogère est très active dans toutes ces villes, sauf à Nagasaki.
Au début de l’ère des Tokougawa, nous trouvons à Tokyo Riemon Hirota, horloger au service du shogounat. Ses fils lui succédèrent dans cette fonction jusqu’à la révolution de Meiji. Mais nous ne possédons aucun renseignement ni sur ses ascendants, ni sur ses descendants. En 1796, Hosokawa décrivit, dans un traité, la construction d’une pendule-lanterne, Yasuaki Asada, un astronome qui vivait à Osaka vers la même époque, dressa le plan d’une pendule avec échappement à roue de rencontre. Il fit fabriquer l’une de ces pièces par Tozaemon Toda, horloger à Kyoto, et l’autre par Yazaburo Ohno, horloger attaché au Service du Calendrier du shogounat. C’étaient probablement des pendules à divisions décimales. Elles furent utilisées par Ino, astronome-arpenteur, et sont aujourd’hui pieusement conservées par ses descendants, à Sakura.
Dès l’ère Tempo (1830-1843), de nombreux horlogers, dans différentes villes, se mirent à fabriquer des horloges de formes et de dessins variés. Le fini remarquable de ces pièces montre le degré de perfection atteint par ces artisans japonais. Durant cette période, un célèbre et adroit constructeur de mécanismes, nommé Denjiro Kobayashi, de Tokyo, construisit une pendule-console à musique. (Fig. 7.) Inutile de dire qu’elle remporta un immense succès. Elle a été exposée au Musée scientifique de Ueno, à Tokyo. Durant l’ère Koka (1844-1847), Shokichi, un horloger de Hirakata, près d’Osaka, fabriqua une petite montre-bague. Cette pièce rare est la propriété de M. Otani, grand prêtre du temple de Nishihonganji, à Kyoto.
L’un des plus célèbres horlogers du siècle dernier fut Hisashige Tanaka (1798-1881), appelé aussi « Karakuri Giemon », de Kyoto. Il termina en 1850 la construction d’une horloge de 400 jours, qu’il appela « horloge millénaire ». Elle mesurait 39 cm de haut et 18 cm de large et était de forme hexagonale. (Fig. 11.)
Elle indiquait, sur ses six cadrans, l’heure européenne, l’heure japonaise, les jours de la semaine, les vingt-quatre saisons de l’ancien calendrier chinois, l’âge de la lune et le cycle sexagénaire « Eto ». De plus, elle portait sur sa face horizontale un dispositif indiquant la rotation du soleil. Cette pendule fut vraisemblablement exécutée avant la construction de pièces analogues en Europe. L’horloge de Tanaka est considérée comme étant supérieure à la fois comme mécanisme et comme plan.
Tanaka ne se contenta pas de fabriquer des pendules, il se lança dans des formes de mécanique encore plus compliquées. A Kyoto, où se trouvaient ses ateliers, les foules venaient voir son musée de curiosités. Cette pendule étonnante est la propriété de la famille Tanaka et a été exposée au Musée des Sciences de Ueno, à Tokyo.
Les daïmyos de cette époque achetaient tous les nouveaux modèles et les horlogers s’appliquaient à construire le maximum de pendules artistiques et bien étudiées. L’un des plus riches d’entre eux. Matsudaïra, seigneur de Matsue, était un fervent collectionneur. Il possédait trois salles contenant chacune un genre particulier de pendules. Son enthousiasme était sans limites. A chaque occasion, il ajoutait une nouvelle pièce unique à sa collection. Lorsqu’il vit l’horloge de 400 jours de Tanaka, au cours d’un voyage, il voulut l’acheter mais le prix en était trop élevé, même pour lui.
On croit généralement que les pendules japonaises de la période des Tokougawa étaient entièrement faites à la main, c’est-à-dire que toutes les parties étaient faites par un seul maître-horloger avec des limes et autres outils élémentaires. C’est ainsi que selon M. J. Drummond Robertson et d’autres historiens de l’horlogerie japonaise, il n’y aurait pas deux pendules japonaises tout à fait semblables. Cependant, j’ai pu constater à maintes occasions des pendules en tous points identiques. Grâce aux recherches approfondies de mes collègues, j’ai pu retrouver, en 1940, Nagoya, les descendants de Sukezaemon Tsuda, alors que je travaillais à la compilation de l’histoire de l’horlogerie de Nagoya.
D’après les archives de la famille Tsuda, j’ai pu m’assurer que ses pendules étaient fabriquées, à la fin du dix-huitième siècle, par des industries ou manufactures privées, à Nagoya et aux environs, et que de nombreuses horloges tout à fait semblables étaient sorties de ces ateliers. La spécialisation, ou travail en série, existait déjà à cette époque dans l’industrie horlogère de Nagoya. On y trouvait deux sections principales, la fabrication des ébauches et l’assemblage. Les fabricants d’ébauches se trouvaient à Komako, près de Nagoya.
Dans l’atelier de la famille Tsuda, Sukezaemon Yorikata Tsuda fabriqua, avec ses aides, un grand nombre de pendules. La décoration et le finissage étaient l’oeuvre du maître-horloger, mais les différentes pièces étaient faites par ses collaborateurs. Les cloches étaient fournies par les fondeurs, les cadrans par le fabricant de cadrans, les socles et chapeaux étaient faits par le menuisier, puis étaient laqués par le spécialiste. Les gravures sur métal et les incrustations étaient faites par le graveur. En outre, Tsuda faisait faire des ébauches en dehors de son propre atelier. J’ai en ma possession une pendule provenant de la famille Tsuda, attribuée à Sukezaemon Yorikata Tsuda, et qui fut faite en 1797. Son authenticité est attestée par la description de Sukezaemon Tsuda datée de 1797, quoique la pendule elle-même ne porte ni signature ni date, comme d’ailleurs toutes les pendules de la période des Tokougawa. (Voir fig. 2.)
En 1872, l’ancien système japonais de mesure du temps fut abolie. L’heure occidentale fut introduite et les pendules européennes se répandirent au Japon.
La première fabrique d’horlogerie moderne fut établie en 1875. La plus importante, l’usine Seikosha, fondée en 1888, a produit des montres et pendules de tout genre.
Les usines principales à l’heure actuelle sont : Seikosha Clock Co., Deuxième Seikosha Watoh Co., Toyo Watch Co., Citzen Watch Co., Tokyo Clock Co., Eikosha Watch Co., Aichi Clock Co., et Meiji Clock Co. En 1947, ces huit maisons occupaient dix mille ouvriers, soit le 76 pour cent de tout le personnel horloger, et avaient produit 1,200,000 pièces d’horlogerie, soit le 78 pour cent de la production totale de l’industrie horlogère du Japon.