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Le frottement

Ferdinand Berthoud s’occupe beaucoup du frottement et de son influence sur la période du régulateur. Il a étudié la question, il connaît l’opinion et les expériences d’Amontons, de Musschenbroek, de Désaguliers, il connaît l’avantage du roulement sur le glissement, de l’emploi des galets au lieu de coussinets. Berthoud est persuadé que le frottement provoque une augmentation de la période du régulateur : augmenter le frottement, c’est faire retarder la montre ou l’horloge. 

C’est une opinion aujourd’hui encore assez répandue. Il n’a pas l’air de savoir que si le frottement augmente la durée de la demi-alternance descendante, il réduit celle de la demi-alternance ascendante, de sorte, qu’il y a une compensation du reste imparfaite. Mais Berthoud a une idée juste qu’il exprime ainsi
« … si le frottement était constamment le même, il n’en pourrait résulter aucun obstacle dans les machines qui mesurent le temps. » 
Il considère surtout le frottement des pivots du balancier ; ces pivots sont huilés et la variation de la viscosité due au changement de la température ou au vieillissement est ici le grand coupable.

Il fait alors le raisonnement suivant : au froid, le balancier-spiral comme le pendule a des oscillations plus rapides, mais la viscosité de l’huile augmente et fait retarder ; il y a donc compensation. Mais il sait bien – l’expérience le montre assez – que cette compensation est incomplète et que les horloges avancent au froid malgré le retard provoqué par l’épaississement de l’huile.
Il résume ainsi sa théorie du frottement : « On diminuera le frottement 
1° si l’on ne donne en grandeur et en pesanteur au balancier et aux roues que la quantité requise pour être aussi solides que les efforts qu’elles ont à vaincre l’exigent ; 
2° si « on a soin de proportionner la grosseur et la longueur des pivots au poids des roues et du balancier et à la pression du moteur relativement a la vitesse de ces roues ; 
3° si les corps que l’on emploie sont aussi durs qu’il se peut en observant, de ne pas faire agir l’un sur l’autre deux corps de même espèce, c’est-à-dire acier contre acier et cuivre contre cuivre, mais qu’au contraire il faut que l’acier agisse contre le cuivre, etc. ; 
4° si l’on n’applique pour moteur à cette machine que la quantité requise pour en entretenir le mouvement ; 
5° en mettant de l’huile aux pivots du balancier, aux roues aux autres parties flottantes de l’horloge.
 »
C’est aussi pour diminuer le frottement que Ferdinand Berthoud suspend le balancier de ses horloges marines à un ressort.

 L’échappement

Les idées de Berthoud au sujet de l’échappement ont bien varié au cours de sa vie ; on le voit préférer l’échappement à roue de rencontre, puis il préconise l’échappement à recul qu’il’ veut rendre isochrone comme il dit, par un recul modéré. Plus tard, c’est l’échappement à cylindre qui a sa faveur et ce n’est qu’à la fin qu’il se déclare partisan de l’échappement libre. Il recherche toujours un échappement qui fonctionnerait sans huile. On le comprend car il n’a à sa disposition que des huiles organiques dont la meilleure lui semble être l’huile d’olive pure. 

Berthoud était habile expérimentateur il avait vite fait de remplacer ou de modifier un échappement ou d’imaginer un dispositif expérimental simple. Il examinait avec soin les résultats de ses expériences et en tirait les conclusions nécessaires.
En général il a des idées nettes sur les conditions à imposer à l’échappement qui doit : 1° donner des impulsions avec le moins de frottement possible, 2° après l’impulsion, laisser le régulateur libre, 3° ne pas modifier l’isochronisme, 4° n’exiger aucune huile.
Il semble donc qu’en théorie du moins, Berthoud est partisan de l’échappement libre.

En 1754 il avait inventé un échappement à détente pivotée, mais n’a utilisé cet échappement ou une variante de celui-ci, que plus tard. C’est qu’il craint qu’une secousse fasse manquer le repos; ce danger existe réellement, mais on peut y remédier.

On est étonné de trouver dans son Traité des horloges marines, un texte intitulé : De la préférence que l’on doit donner à l’échappement à repos à palettes de rubis sur celui à vibrations libres ; constatée par des expériences décisives
L’horloge marine N° 9 a un échappement à détente pivotée (fig. 5). Pour diminuer le frottement, Berthoud fait faire au balancier des oscillations lentes (période de 2 secondes). Comme l’aiguille ne fait qu’un saut par oscillation, donc toutes les 2 secondes, on peut se tromper grossièrement en interpolant. La promptitude des fonctions peut faire craindre que la détente ou la palette ne fassent pas leur fonction avec la précision requise.

L’échappement de Berthoud est compliqué, c’est-à-dire composé d’un grand nombre de pièces qui, à vrai dire, ne sont pas difficiles à exécuter, mais l’échappement exige un mobile de plus, d’où augmentation des pertes dues au frottement. Dans les horloges marines N° 6, 7 et 8, le constructeur a utilisé un échappement à repos avec palettes en rubis bien que cet échappement exige de l’huile.
Il a fait marcher l’horloge N° 8 du 9 janvier 1771 au début de mars de la même année, sans graisser l’échappement ; l’horloge a très bien marchée.
Ajoutons que vers 1782, Ferdinand Berthoud est arrivé à l’invention d’un échappement à détente-ressort. 

La compensation thermique     

La nécessité de la compensation thermique était bien connue du temps de Berthoud : Graham avait inventé son pendule à mercure et Harrison construisit le pendule à gril. Dans les montres à balancier-spiral, Harrison avait utilisé la propriété des lames bimétalliques et réalise une compensation simple ; Mudge avait également employé des bilames. Pourquoi Berthoud n’a-t-il pas d’emblée utilisé les lames bimétalliques au lieu du gril ?

Le gril de Berthoud – qu’il appelle châssis – est composé de tringles d’acier et de cuivre ; la température variable modifie la longueur du châssis qui, en agissant sur un râteau concentrique au spiral et portant 2 chevilles change la longueur active du spiral. On peut régler la compensation en modifiant le nombre et la longueur des tringles. Ferdinand Berthoud cherche une compensation réglable et les bilames de Harrison ne permettent pas de modifier la compensation (dans la figure 4, x représente le châssis).
La solution de Berthoud est compliquée et inapplicable dans les montres où la place est réduite.
En agissant sur le spiral on modifie plus ou moins l’isochronisme, moins en changeant la longueur du spiral comme font Berthoud et Harrison qu’en écartant ou rapprochant les goupilles de raquette comme dans le compensateur de A .-L. Breguet.
La meilleure solution du problème de la compensation est donnée, jusqu’à présent, par le balancier bimétallique inventé vers 1765 par Pierre Le Roy.

Si Ferdinand Berthoud n’a appliqué que très tard le balancier de Pierre Le Roy, il a cependant un grand mérite en ce qui concerne la compensation des montres : il a découvert l’erreur secondaire que l’on a parfois nommée à tort l’anomalie de Dent (1790-1852).
Le 13 octobre 1768, Berthoud détermine la marche de son horloge marine N° 8 à différentes températures et il établit la table de corrections suivante

TempératureMarche diurneTempératureMarche diurne
5° R-1,7 s20° R-1.25 s
10° R-0,7′25° R2,5 s
15° R032° R6,25 s

L’erreur secondaire est nette : elle est > 4 s entre 5° R et 32° R.
Le coefficient thermique est ~0,17 s pour 1° Réaumur.

Berthoud a vu le défaut de la compensation lorsqu’il a écrit : « J’ai éprouvé qu’il est infiniment difficile de parvenir à la compensation du chaud et du froid dans une horloge marine. Mais une fois ce mécanisme bien déterminé ainsi que ses dimensions, alors l’application devient facile … mais je dois convenir que je n’ai pas également trouvé qu’il fût facile de produire cette compensation pour tous les degrés extrêmes et moyens de la température et peut-être ne le peut-on pas, parce que l’espace parcouru par le pince-spiral n’est pas proportionnel au changement d’élasticité du ressort et de diamètre du balancier. »

Les chronométriers du XIXe siècle ont cherché la compensation intégrale au moyen de balanciers à compensation auxiliaire. Berthoud ne fit aucune recherche pour combattre l’erreur secondaire ; peut-être croyait-il la chose impossible. Mais pour que les horloges marines donnent la solution du problème des longitudes, il fallait que ceux qui les utilisent tiennent compte de l’erreur secondaire ; aussi Berthoud, munissait-il ses horloges marines d’une table de corrections comme celle que nous avons donnée plus haut. Nous avons dit la croyance de Berthoud en une compensation des effets de la température sur la période du balancier-spiral par les changements de la viscosité de l’huile, eux aussi fonction de la température. Berthoud remarque que l’augmentation, provoquée par le froid, de la résistance au mouvement, ne dépend pas seulement, de la plus grande viscosité de l’huile, mais aussi du diamètre des pivots. Mais cette compensation n’est pas bonne à cause de l’altération des huiles avec le temps, aussi n’hésite-t-il pas à écrire : « Loin donc de devoir faire usage de ce moyen pour des horloges marines, il faut les composer de sorte qu’il ne reste ni frottement, ni résistance dans les huiles des pivots des rouleaux ou au moins les réduire à une si petite quantité, relativement à la puissance du régulateur que celui-ci n’en puisse jamais être affecté. »

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