Le nom de Ford évoque pour tous l’« homme qui fit marcher le monde sur des roulettes », le génial constructeur d’automobiles. On sait moins que Ford fit ses premières armes mécaniques dans l’horlogerie.
Ecolier, il avait organisé un atelier où bricoler dans sa mansarde. « Les pendules et les montres, dit Egon Larsen, dans « 12 hommes qui ont changé notre vie » (édition Pierre Horay) furent sa première marotte. Il fabriquait lui-même presque tous ses outils: un grand clou devenait un tournevis, un vieux corset lui fournissait une pince.
Henry commença par démolir des pendules et des montres détraquées pour voir ce qu’il y avait dedans, puis il se hasarda à réparer… plus ou moins bien, celles qui ne marchaient pas. « Toutes les montres du village » tremblent d’effroi à son approche », disait en riant un ami de la famille.
Il ne tarda pas cependant à devenir très habile et tous les gens du pays lui confiaient leurs montres et leurs pendules. Henry les réparait pour rien; c’était tellement amusant! Mais son père protesta, indigné à l’idée qu’on pût fournir un travail utile sans se faire payer. Henry accepta volontiers l’argent qu’on lui offrait, mais il continua à réparer les montres gratuitement si leur propriétaire disait qu’il ne pouvait pas payer.
Un jour, ses camarades, envieux de sa réputation, décidèrent de lui jouer un tour : ils lui donnèrent un boîtier vide et une poignée de pièces qu’ils venaient d’en retirer, persuadés que Henry n’arriverait jamais à remettre en place ces rouages minuscules. Leur stupéfaction fut grande quand ils virent, une demi-heure après, la montre réparée.
Quand il eut seize ans, Henry se sauva de chez lui et chercha du travail à Detroit. Il trouva d’abord un emploi chez un mécanicien, à 6 dollars 60 par semaine… mais cela ne dura que huit jours. Henry n’était pas populaire à l’atelier : il réparait les machines en quatre fois moins de temps que ses camarades plus âgés, qui l’auraient certainement mis à la porte s’il n’avait eu la bonne idée de s’en aller.
Il trouva ensuite du travail chez James Flower Brothers, atelier de fonderie et de mécanique. Comme apprenti, il ne gagnait que 2 dollars 50 par semaine; pour compléter son salaire, il proposa à un joaillier de nettoyer des montres en fin de journée, Celui-ci accepta à raison de 50 cents par soirée, mais il n’était pas question de lui confier des réparations.
Un soir, Henry ne put cependant résister à la tentation de remettre en état quelques montres qu’on lui avait confiées, En apprenant la chose, le patron le convoqua dans son bureau. Henry était sûr qu’on le congédierait. Bien au contraire, son patron, qui appréciait le travail bien fait, lui offrit un emploi fixe. Mais il enferma Henry dans l’arrière-boutique pour le dérober aux regards des clients, qui n’auraient sans doute pas été rassurés en voyant leurs montres entre les mains d’un gamin de seize ans.
A la même époque, Henry Ford inventa son premier système de production en série. Il s’agissait de fabriquer deux mille montres par jour, pour 30 cents seulement de manière à les vendre un dollar pièce. L’auteur du projet avait prévu tout le déroulement de la fabrication, mais il avait négligé un détail : pour écouler toutes ces montres, il aurait fallu une immense organisation de vente et une campagne publicitaire à l’échelle nationale. Quand on le lui fit remarquer, il décida de renoncer provisoirement à son idée.
Le père du fugitif, qui avait découvert son adresse à Detroit, lui écrivit pour lui demander de rentrer au foyer. Il aurait fallu confier à quelqu’un les diverses besognes dont Mrs Ford s’acquittait de son vivant; mais on ne pouvait compter sur personne pour la remplacer. Il y avait beaucoup trop à faire. William Ford ajoutait que la nouvelle batteuse suffirait sans doute à absorber l’intérêt que Henry portait à la mécanique.
Henry revint donc à la ferme. Agé de dix-neuf ans, il jouait à présent son rôle dans la vie sociale, assistait aux services religieux, fréquentait les bals publics. C’est au réveillon du club de danse de Greenfield qu’il rencontra la jeune et jolie Clara Bryant, fille d’un fermier des environs. « Une demi-heure après avoir fait sa connaissance, je savais déjà qu’aucune autre femme ne compterait jamais pour moi », déclarait Henry Ford bien des années après. « Je me rappelle qu’il m’a montré une montre qu’il avait réglée de manière qu’elle indiquât à la fois l’heure solaire et l’heure ordinaire et qu’il m’expliqua longuement comment il s’y était pris, raconte Clara, Je me rappelle combien je l’ai trouvé sérieux et raisonnable. C’est ainsi que tout a commencé. »
On comprend mieux que dans son musée de Détroit, Henry Ford ait tenu à reconstituer la forge-atelier de Daniel JeanRichard et le décor de l’ancienne horlogerie jurassienne.
Article extrait de la « Revue internationale de l’horlogerie » de juillet 1957 (hauteur non nommé)