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Bien des descriptions de nos fameux automates du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel ont été retrouvées. Elles sont aussi nombreuses que les exhibitions de ces mécanismes et, en général, ne nous apportent que très peu de détails inédits.

La dernière parue dans le “Musée neuchâtelois” (1956, p. 31) donnait pourtant une indication intéressante : c’est que, en 1786, la fameuse « Grotte » (sinon les androïdes qui l’accompagnaient) était sur le point de s’en aller en Chine.

L’automate écrivain-dessinateur Jaquet-Droz – H. Maillardet contenu dans une pendule de Williamson, Londres, retrouvée à Pékin pour Mr. S Harcourt-Smith.

Ce dut bien être le cas, car, à ce moment-là, et même un peu plus tôt (1783), Henry Jaquet-Droz, le fils, venait de s’associer avec le fameux horloger James Cox, de Londres, auquel il livrait quantité de mouvements de pendules et des montres destinées à la Chine et aux Indes anglaises : objets qui étaient acquis à un prix très élevé par la Compagnie des Indes. La Grotte rentrait bien dans le goût de l’époque et James Cox ne manqua point l’occasion de l’acquérir.
M. Gustave Loup, de Genève, qui vécut longtemps dans la région de Pékin, ayant montré un jour l’image de la Grotte à son principal horloger chinois, celui-ci déclara : « Mais cette pièce, je l’ai vue à Pékin ! » ; et il la décrivit en détail. Par contre, nous pouvons certifier, avec preuves à l’appui, que les premiers androïdes des Jaquet-Droz restèrent en Europe. Ce sont ceux qui appartiennent au Musée de Neuchâtel.

Mais on sait que la société « James Cox, Henry Louis Jaquet-Droz et Henry Maillardet », à laquelle s’était adjoint Abram-H.-J. Favre, de Genève, avait introduit à la Cour de Chine, une grande quantité de pendules compliquées, la plupart à automates, dont la presque totalité figurèrent dans le Musée de Cox qui avait été exhibé à Londres dans une grande exposition. Nous possédons les catalogues, devenus rarissimes, de 1772, qui le commentent. Le tout fut acquis par l’empereur Ch’ien Lung pour les palais impériaux près de Pékin (Palais d’été) et celui de .Jé-hol en Tartarie.

Lors de l’arrivée en Chine de la fameuse ambassade de lord Macartney en 1792, les Anglais furent surpris du nombre et de l’ importance des pendules à grande complication qu’ils y rencontrèrent dans les Palais impériaux.

L’automate Jaquet-Droz – H. Maillardet de Pékin et l’inscription qu’il trace

En 1918, F.-Louis Perrot de Chambésy (l’un des auteurs avec Charles Perregaux du livre : Les Jaquet Droz et Leschot) a fait connaître toute une série de dessins originaux tracés par un automate, parmi lesquels des portraits du roi d’Angleterre. L’une (les inscriptions qui les accompagnaient indique clairement qu’il s’agissait d’un cadeau destiné à être présenté par l’ambassade, car son sens est très rapproché de l’adresse lue par lord Macartney à l’empereur de Chine. Un retard ou un accident aura fait décider d’offrir ce présent à une autre occasion.

D’autre part, un imprimé daté de 1810, mais qui se rapporte aux années 1804 ou 1806, indique au sujet de la maison James Cox de Canton : C’est dans cette maison qu’on a vu un automate écrire, en plusieurs caractères, le nom de l’empereur de Chine. » A Pékin même, nous avons rencontré la mention de deux automates écrivant ou plutôt dessinant des adresses à l’empereur, dont l’un était l’œuvre d’un lazariste, le père Charles Paris, horloger el machiniste à la Cour de Pékin. Celui-ci s’en était-il inspiré ? écrivions-nous dans La Montre “chinoise”, c’est assez probable.

Dans les années 1932-1933, un jeune secrétaire d’ambassade anglais à Pékin, Mr. S. Harcourt-Smith (devenu depuis un de nos amis) a pu mettre sur pied un ouvrage très bien illustré, portant le titre que nous traduisons : Un catalogue de pendules, de montres, d’automates et d’autres objets divers datant du XVIII siècle… se trouvant dans le Muséum du Palais et dans le Ying Tien, de Pékin.

Avec une patience et une persévérance remarquables, il parvint à obtenir l’entrée à presque toute heure et même les clefs de ces deux musées, ce qui lui permit de donner dans ce livre une cinquantaine d’images, toutes accompagnées de descriptions, sans compter celle de centaines d’autres dont il indique plus ou moins en détail les caractéristiques. A son avis, le tout ne représenterait qu’un sixième au plus des richesses qui existaient jadis dans les Palais impériaux chinois.

Parmi ces pièces, nous en avons retrouvé plusieurs qui furent incontestablement l’oeuvre de la société Cox-Jaquet-Droz, dont elles avaient toutes les caractéristiques (notamment des flacons à parfum et des cages-oiseau), tandis que les mécanismes de beaucoup d’autres furent certainement exécutés par elle : pendules compliquées dans un goût faussement chinois, la plupart à musique, souvent parées d’ornements compliqués et parfois d’automates.

Ies caractères retrouvés par F. Louis Perrot, identiques à ceux que trace l’automate du Musée de Pékin.

L’une d’elles, passablement postérieure, représente un escamoteur : œuvre d’un Louis Rochat de la Vallée de Joux.

Une série de pendules compliquées, de caractère bien anglais dans leurs chinoiseries, portent la signature de Williamson, London, et sont toutes attribuables à Timothy signalé entre 1769 et 1788. Ce sont des pendules à musique pour la plupart, certaines brillamment ornementées de bronzes et d’émaux, souvent compliquées d’automates.

Or, l’une de ces pièces contient dans sa partie inférieure, et au-dessus d’une table de style Louis XV un automate dessinateur assez petit puisqu’il n’a guère que trente centimètres de haut.

Nous l’avons reproduit dans “Les Automates”, mais sans pouvoir spécifier s’il s’agissait d’une œuvre de Williamson ou des Jaquet-Droz, ou encore d’Henry Maillardet. leur associé, qui paraît bien avoir pris la plus grande part dans ces créations nouvelles.

D’autre part, Brewster dans son Encyclopédie d’Edimbourg, en 1812 précisément, écrit à l’article. « Androïde » : « Maillardet a exécuté un automate qui écrit et dessine. La figure est celle d’un enfant agenouillé sur un genou (sic) et tenant un pinceau à la main. Quand elle commence à travailler, on lui trempe son pinceau dans l’encre et on ajuste une feuille à dessiner sur une table de bronze. Lorsqu’on touche un ressort,  la figure se met à écrire et quand la ligne est finie, sa main vient recommencer les lettres nécessaires. Elle exécute ainsi quatre belles pièces (l’écriture française et anglaise et trois paysages dans l’espace d’une heure environ. »

Ce texte semble bien se rapporter à un automate pareil à celui que nous reproduisons. D’autre part, la similitude des deux tables de bronze (celle sur laquelle il écrit et celle qui soutient l’édifice) indique bien que Williamson fut mêlé à la naissance de cet androïde.

La récente visite à Neuchâtel de M. S. Harcourt-Smith a mis le point final à nos incertitudes. En voyant au Musée, dans le cadre qui les contient, un des spécimens d’écriture retrouvés par F.-L. Perrot, M. Harcourt-Smith s’est écrié : Eh ! Ce sont les caractères tracés par l’automate du Musée de Pékin ! Cette inscription exécutée en huit élégants caractères chinois signifie (traduction libre) : Les huit parties du monde et les neuf continents rendent hommage à l’empereur de Chine ! » Les caractères sont quelque peu différents, mais le sens est absolument pareil.

On sait qu’un autre automate dessinateur, signé Maillardet, se trouve au Musée Research de Philadelphie. C’était celui qui avait figuré à l’exposition de Londres, en 1826 2). Ces deux automates dessinateurs correspondent bien aux deux ébauches de tels automates mentionnées dans les inventaires Jaquet-Droz-Maillardet de 1787.

L’automate de Pékin que nous reproduisons est donc bien sorti des ateliers Jaquet-Droz Maillardet.

Voilà donc résolu le problème des androïdes Jaquet Droz et de ce que l’on a appelé leurs « répliques qui sont, on le voit, des automates inspirés des premiers, mais quelque peu différents.

Article paru dans la revue « La Suisse horlogère » de 1957

Signature de James Cox, d’H.-L Jaquet-Droz et d’Henry Maillardet, à Londres, au bas d’un contrat, en 1783