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Il n’y a rien de plus beau qu’une boutique de luxe. On leur consacre des places, des rues, des boulevards, tout entier. Vendôme, Rhône, Bahnhof, Fifth. On est ailleurs. On est transporté. Tout un monde. Il faudrait le visiter en famille les jours fériés.

Mais les enfants préfèrent un tas de sable parce que toutes les rues du luxe sont les mêmes. New York, Paris, Genève. Identique. Utopique. Tombées du ciel. Comme des Big Mac, les mêmes, partout, tout le temps. Au cœur de la mêlée, les maisons marquent le terrain, imposent leur couleur. La boutique est une vitrine impériale alors on soigne. Façon Megève. Ambiance Pfister sauce Récamier. Salon privé façon banque genevoise. La boutique de luxe doit tout dire d’un coup. Dégager les grandes lignes, l’image de la marque. Véhiculer tout le bastringue, un univers complet. Chrome, miroir, cuir, ébène, vistemboires vrai faux chic et machins design. Il faut être soi, mais sans sortir de la ligne générale. Au final, tout est beige et gris.

C’est ridicule, mais personne ne le dit. La boutique est devenue l’ultime, l’absolu. De la différenciation en stuc et en tapis profond. Parce que le produit ne suffit plus. Une montre n’est plus une montre, c’est du storytelling. Elle ne donne pas l’heure, elle transmute, elle transcende, elle fabule. On la regarde trotter et on voit tout. La Weltanschauung fatale. Breguet aux 24 Heures du Mans. Napoléon dans la Fosse des Mariannes. Gandhi à Sotchi. Il y a tout ça dans la boutique et il faut que cela saisisse, dès le seuil. Alors on met le paquet. C’est la valse pas-de-porte. Cinq millions pour une cagna de vingt mètres carrés? Des preneurs pour tout. L’inflation débile! On s’en fout, tout ça, c’est pour l’image. La boutique ne sera jamais rentable? So what? Saint marketing a dit paroisse, il aura ses lieux de culte.

Ce qui tombe bien, parce que les directeurs de marque ont leur psaume 22: tu aimeras les opportunités comme ta propre carrière. Les petits champions du MBA en sont béats. Tout est opportunité. Aux aisances la stratégie! Exit le long terme et la pérennité! La boutique c’est la convenance pure, l’easy money de la notoriété. Le citrate de sildénafil du positionnement. Le ruban, la flûte, le testimonial, le frotti-frotta mondain et c’est dans la fouille. Avoir sa boutique, ça fait tout de suite professionnel. La brique, c’est puissant, c’est immédiat. La brique elle s’embarrasse de rien, pas de technique, de service après-vente et patin-couffin. La clientèle est ravie, elle ronronne, elle bêle, elle en redemande du décor joli. Le plus difficile c’est de trouver l’emplacement, parce que tout le monde veut le même, parce que la seule mesure c’est la qualité du voisinage. Alors on occupe le terrain. La belle opportunité.

Par André Vial