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Le sigle de trois lettres désignant dans toute activité commerciale le service après-vente pourrait bien devenir pour l’horlogerie suisse synonyme de cauchemar.

Pour l’instant il n’y a « que » péril en la demeure, sous la forme d’une bombe à retardement… La question est de savoir s’il est possible de la désamorcer et comment. Dans tous les cas, il vaut mieux s’en préoccuper sérieusement sans attendre ses effets dévastateurs. 
On entend déjà la réaction : vous plaisantez, l’horlogerie suisse ne s’est jamais si bien portée, pourquoi toujours parler d’orages quand le ciel est limpide, évoquer des menaces quand tout va bien ? Pure maniaquerie de journaliste à l’esprit pervers, évidemment, une fois de plus. 
En réalité, le constat fort simple est fait par tous les professionnels qui ne jouent pas les autruches. Certes, l’horlogerie mécanique vole de succès en succès, battant chaque année ses propres records avec la régularité d’un chronomètre certifé COSC. Mais cette exceptionnelle croissance aura forcément de lourdes conséquences, potentiellement catastrophiques, si elles ne sont pas gérées correctement.

La preuve par les chiffres
Cet avenir ne se lit pas dans le marc de café, mais dans les chiffres. Le mauvais esprit, les intuitions et les états d’âme n’ont rien à voir là-dedans, c’est mathématique. A conditions égales de production, qu’il s’agisse de voitures ou de montres, un certain pourcentage des produits mis sur le marché revient nécessairement au garage ou chez l’horloger bijoutier. La comparaison s’arrête là : dans le premier cas, le client fait régulièrement les services attendus par le fabricant, d’où une infrastructure adaptée et rodée ; dans le second, la démarche est rarement spontanée et, au-delà d’un changement de pile ou de bracelet, ce sont des perturbations fonctionnelles, la casse d’un organe moteur ou son usure rédhibitoire qui imposent le retour aux stands. Et tout laisse à penser que la capacité d’accueil n’a pas suivi la croissance de la production de moteurs, de plus en plus sophistiqués et fragiles, et n’est pas proportionnée aux arrêts prévisibles. Les embouteillages sont programmés, les désillusions et les colères aussi.

« Le SAV, c’est le cancer de toutes les marques ! » François-Paul Journe a la formule qui tue. Et peut-être l’antidote. Ça se soigne docteur ? «Ça peut se soigner si l’on n’est pas fou furieux. Voilà le problème. Vous avez un parc de montres vendues de deux millions de pièces. Il y en a 10 % qui tombent en panne dans l’année, parce qu’elles sont anciennes, doivent être révisées, ont un défaut ou sont maltraitées. Cela fait 200’000 par an. Si vous avez fait ces deux millions de pièces en vingt ans, cela signifie que vous en produisez 100’000 par an et que vous devez donc travailler deux fois plus pour la réparation que pour la production ! » CQFD.

Quel est dans ce contexte l’impact du volume de production et de la sophistication des produits ? Avec un mouvement automatique basique, du genre ETA 2892 ou l’un de ses avatars, dont tous les bugs ont été identifés et corrigés depuis des lustres, la fabilité doit alléger le poids du SAV. Dans le pire des cas, vous changez le mouvement et basta ! A l’inverse, les mouvements à complications portent doublement leur nom et sont par essence sujets à problèmes. Or, il se trouve que c’est bien dans cette catégorie-là que l’horlogerie suisse fait aujourd’hui son miel, avec pour corollaire un prix moyen des pièces exportées qui a pris l’ascenseur. Ce sont donc proportionnellement davantage de soucis à venir qui ont été exportés, avec un effet boomerang garanti.

Toutes les marques sont-elles concernées de la même façon ? « Avec des nuances, mais globalement elles sont toutes à la même enseigne et pas seulement les marques suisses, sourit François-Paul Journe. Prenez Lange&Söhne, qui font, disons, 6000 pièces par an. Au bout de dix ans, ils en ont 60’000 dans la nature, avec les mêmes problèmes que tout le monde. »

Et quand on en fait 850 par an comme notre interlocuteur ? « J’en ai maintenant 4500 sur le terrain, donc j’en ai 450 en SAV, mais je sais qu’après j’en aurai 600 puis 800… Et là je suis obligé d’anticiper, car j’arrive au bout de mes possibilités. Je dois trouver des locaux pour absorber cette croissance mathématique du SAV, qu’il faut considérer comme une entreprise en soi et gérer comme tel. »

Anticiper, le maître mot
N’y a-t-il pas quelque chose à faire en amont ? « L’idéal est de produire de telle sorte qu’il n’y ait pas de retours. Mais nous sommes dans une activité à forte composante humaine et le meilleur horloger travaille moins bien certains jours que d’autres. On met en place des contrôles supplémentaires, à tous les stades, de la fabrication des composants jusqu’à l’ultime réglage final. Mais il y a des limites. Ce qui est possible chez nous pour chaque grande sonnerie, qui passe un mois et demi de tests, est impensable dans la production en séries où les contrôles sont faits par sondage. »

Chez Breitling, on note une augmentation naturelle du parc de montres dans le circuit, auxquelles s’ajoutent celles qui ressortent des tiroirs parce que le public accorde actuellement plus de valeur aux tocantes en général et à la marque en particulier. 
Selon Jean-Paul Girardin, vice-président de la marque, le SAV est, avec la distribution, une de ses deux priorités absolues. Il est considéré comme un problème potentiel, mais pas seulement : « Toute faiblesse d’un produit peut être utilisée contre la marque, mais si vous démontrez votre capacité de réaction, la rapidité et la qualité de votre intervention, alors le SAV devient une opportunité. »

Un accent est mis dans l’information du client, via le site internet, pour le sensibiliser à l’entretien, aux services et à leurs coûts. Un effort est fait au niveau de la formation d’horlogers à l’échelle internationale, toujours dans la perspective de l’explosion des besoins du SAV. Quant à l’anticipation à la source, elle a pris la forme d’une hausse sensible du niveau qualitatif de la production par le passage systématique des mouvements au contrôle offciel des chronomètres (COSC). Et, pour mieux répondre à la demande des marchés, les stocks de composants ont été quadruplés, tandis que le personnel chargé de leur gestion a été doublé à Granges. « Et surtout, précise Jean-Paul Girardin, on a le SAV en tête dès la conception du produit, qui doit être plus facile à réparer si besoin. Le plus simple est alors le plus efficace, mais il n’est pas toujours facile de faire simple, quel que soit le domaine. Comme disait Voltaire dans une lettre : excusez-moi, je n’ai pas eu le temps de faire court ! » 
Chez Roger Dubuis, dont l’exposition de calibres maison au SIHH a impressionné les plus blasés, l’anticipation des problèmes SAV passe par les contrôles qualité qui oscillent entre deux et quatre semaines selon la complexité des modèles. « Parallèlement, précise Carlos Diaz, nous faisons l’impossible pour neutraliser, dès leur conception, les quasi incontournables maladies d’enfance des mouvements derniers-nés.»

Patek Philippe place aussi clairement le SAV au rang de ses départements prioritaires. « L’objectif est que, dans tous les pays importants dotés d’un centre de rhabillage, on ait une équipe en place qui puisse réparer tous les calibres de la collection courante, explique Philippe Stern. C’est ainsi le cas à New York où 25 collaborateurs s’y consacrent. » Le président de Patek Philippe est convaincu que la réputation d’une marque et sa pérennité passent par le SAV. 
On touche là un point particulièrement sensible d’un phénomène exaltant et inquiétant à la fois, la multiplication de marques dans le haut de gamme ou plus exactement de produits souvent compliqués portant de nouveaux noms et affchant d’emblée des ambitions horlogères aussi élevées que des prix faramineux. Cette foraison spontanée manifeste une créativité réjouissante mais elle n’offre évidemment aucune garantie pour l’avenir. La clientèle est sous le charme, mais aura-t-elle toujours quelqu’un au bout du fil quand la merveille mécanique s’arrêtera ? Pas sûr…

« Beaucoup parmi ces nouveaux venus vont souffrir, pronostique Philippe Stern, parce qu’ils ne sont pas préparés à assumer leurs responsabilités. Cela ne fait aucun doute. Beaucoup ne pourront pas réparer dans dix ou quinze ans les pièces mises sur le marché aujourd’hui. 
On a déjà connu cela avec un créateur dont personne n’assume aujourd’hui la réparation des pièces. Le verdict des ventes aux enchères est impitoyable. Des pièces qui ont été vendues plus cher que des Patek il y a quinze ans n’en valent plus le dixième aujourd’hui. Quand elles trouvent preneurs ! En revanche, il y a des maisons qui naissent aujourd’hui avec peut-être une politique à plus long terme et qui resteront. Ce n’est pas exclu. » Le président de Patek Philippe s’interroge aussi sur les phénomènes de mode, considérant qu’il y a beaucoup de produits mis sur le marché « qui sont attractifs à l’œil, avec des gadgets partout, mais avec beaucoup d’inconnues du point de vue de leur qualité et de leur fiabilité. Très recherchées aujourd’hui, ces pièces ne vont sans doute pas fonctionner très longtemps… »

Tous les collectionneurs ne sont pas dupes et savent que leurs coups de cœur ne sont pas très raisonnables, leurs achats pas forcément de bons placements et qu’il vaudra mieux laisser certaines pièces dans leur écrin… Mais il y aura, c’est sûr, de cruelles déconvenues pour des clients qui se sentiront foués. Et c’est l’ensemble du label suisse qui pourrait en pâtir s’il s’avérait que la débandade n’était pas isolée. 
Interroger les nouveaux acteurs n’apporte pas forcément de réponse. Ils sont tous convaincus, avec de légitimes raisons, de proposer des produits d’exception. Ils croient tous à leur bonne étoile, sentiment confrmé par l’intérêt de la clientèle asiatique, russe, moyen-orientale, voire américaine. Admettant que rien ne permet d’assurer qu’ils seront toujours là dans dix ans, ils croisent les doigts. « On fait de la corde raide », avoue un horloger indépendant qui joue gros sur très peu de pièces. Même s’il paraît plus aisé dans ce contexte de vendre une montre à 100 000 francs qu’à 1000 francs, suspense et sueurs froides sont au rendez-vous et les exigences d’amateurs fortunés et versatiles diffciles à anticiper, puis à satisfaire. Et si, d’un côté comme de l’autre, les promesses n’étaient pas tenues…

Thierry Oulevay, qui fut à la tête de Bovet Fleurier, a lancé la marque Jean Dunand en partenariat avec Christophe Claret, dont les ateliers du Locle étaient cette année à l’origine de sept nouveautés marquantes présentées par des marques réputées aussi bien à Bâle qu’à Genève. Pouvant s’appuyer sur une structure performante et un savoir-faire reconnu, Jean Dunand s’est immédiatement installé dans le très haut de gamme technique avec une production fort limitée sinon confdentielle, quelques dizaines de pièces par an. 
La problématique du SAV est différente que pour une production en séries. « Oui et non, nuance Thierry Oulevay, compte tenu de la complexité des pièces, qu’elles soient uniques ou produites à dix exemplaires, de toute façon elles sont d’une complexité telle que personne n’est autorisé à les ouvrir, où que ce soit. Elles doivent toutes revenir à la manufacture… »

Une certitude
Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes… Pour autant que la manufacture, déjà très sollicitée et qui tourne à plein régime, soit à même de les accueillir et de les traiter dans un délai acceptable ! « C’est difficile, voire inquiétant, de penser, en effet, qu’on développe et qu’on fabrique des calibres, mais qu’on n’est pas toujours équipé et structuré pour accepter des retours éventuels… »

La réalité est qu’il ne s’agit pas d’une éventualité, mais d’une certitude : il y aura des retours, quels que soient la qualité et le nombre de pièces livrées, à plus forte raison quand celles-ci sont complexes. « C’est la raison pour laquelle Christophe Claret est en train de former vingt horlogers pour pouvoir s’occuper à l’avenir d’un parc de pièces susceptibles de revenir. En attendant, la priorité des priorités est de produire le maximum de montres zéro défaut. Pour qu’elles ne reviennent pas. » Serez-vous toujours là quand cette merveille de technique et de délicatesse aura besoin de soins particuliers, d’un lifting ou d’un triple pontage ? « La question est pertinente, mais il n’y a honnêtement pas de réponse… » La lucide retenue de Thierry Oulevay tranche avec les fanfaronnades enregistrées parfois dans la nursery.

Le syndrome de la F1
Le sujet est délicat et on le ressent très fort en faisant la tournée des stands, au sens automobile du mot. C’est qu’elles se prennent volontiers pour des écuries de F1, les nouvelles venues dans le monde horloger, qui proposent des bêtes de courses, aux moteurs innovants et gonfés, aux matériaux venus des étoiles et au design galactique. Le problème, c’est que les F1 sont programmées pour quelques dizaines de tours du circuit, quelques heures de course. Malheureusement, la comparaison pourrait bien ne pas s’arrêter là… Et le moteur des tocantes F1 connaître le même sort que celui des bagnoles.

« Une montre qui s’arrête, c’est un vrai problème, surtout au prix auquel nous nous situons. S’il n’y a plus personne pour réparer, c’est une catastrophe. » Pour Thierry Nataf, la question du SAV est d’une actualité brûlante. Sa manière à lui de souligner dans un clin d’œil la nécessaire anticipation est de donner aussi au sigle SAV la signifcation de service avant-vente . 
« Moi j’ai inventé un nouveau truc, annonce le boss de Zenith : la réparation à vie. Quelle que soit la pièce achetée chez nous aujourd’hui ou dans le passé, nous nous engageons à la réparer. C’est l’idée qu’une manufacture est éternelle. Et dans cette perspective, je fais du stock pour le futur. » La manufacture du Locle a retenu les leçons de l’histoire, elle qui avait failli perdre à jamais dans les années 1970 toute possibilité de fabriquer son mouvement de légende El Primero, par la décision de sa direction américaine de jeter l’outillage à ses yeux inutile et sans avenir. 
Non seulement désormais elle stocke des composants, mais elle conserve l’ensemble de tous les outils de frappe, dans des coffres antifeu séparés, de manière à pouvoir à tout moment refrapper des pièces. La règle connaît une exception pour des raisons éthiques, celle des séries limitées : « Comme on le fait dans le domaine de l’art, dans ce cas je casse les moules liés aux éléments de décoration. Mais avant de casser, on fait du stock pour les réparations futures. » Zenith occupe au Locle quinze horlogers rhabilleurs, dont treize pour le SAV ordinaire et deux qui traitent prioritairement les urgences. Il faut savoir que les délais sont sources de fâcheries et d’incompréhension de la part de la clientèle. Mais c’est un autre sujet…

La pérennité est l’atout majeur des grandes entreprises. « Une maison de tradition est une garantie for ever ! » Est-ce à dire qu’il faudrait dissuader les amateurs de porter leur choix en dehors du cercle restreint des marques établies de longue date. Bien sûr que non, car celles-ci n’ont pas le monopole de la créativité ni de la qualité. Et n’ont-elles pas elles aussi démarré un jour grâce à des clients séduits qui ont misé sur elles ? Thierry Nataf a collectionné des montres avant d’être bombardé à la tête de la grande maison du Locle. 
« En achetant à un jeune horloger de talent, comme à un artiste, il faut être conscient du risque de ne pas avoir de maintenance, mais ça n’empêche pas le coup de cœur. Il y a des petites structures, qui reposent sur de vrais ateliers, avec des artisans honnêtes. Mais il y a aussi beaucoup de gens pas sérieux parmi les new comers, qui sont là uniquement pour réaliser des coups. Ils font faire une ou deux collections, puis revendent leur affaire ou disparaissent… Pirouette, cacahouète ! » Qu’en est-il du SAV des grandes maisons dans le cas particulier des pièces uniques ? L’anticipation pratiquée pour les séries lors de la production peut diffcilement entrer en ligne de compte. « Détrompez-vous, corrige Juan Carlos Torres, c’est pratiquement la même chose. » Et le président de Vacheron Constantin d’expliquer que les pièces uniques sont développées selon les mêmes processus d’ingénierie que toutes les collections, avec des plans, une nomenclature et des méthodes de fabrication. Et tous ces documents sont conservés pour le SAV de manière que, dans trente ans, un horloger puisse reconstituer n’importe quelle partie de la pièce. « Ce n’est jamais une pièce d’horlogerie bricolée sur le coin d’un établi ! »

Le souci de conserver un savoir-faire est aussi ancien que la maison… Juan Carlos Torres n’est pas mécontent de sa relecture de l’histoire. « Le premier acte constitutif de la marque est l’engagement par Jean-Marc Vacheron d’un apprenti. C’est fantastique. Notre histoire, c’est 250 ans de transmission de savoir et nous sommes en effet la seule marque à n’avoir jamais coupé la chaîne de transmission. Ça ne sert à rien de conserver des composants si l’on n’a pas le savoir-faire pour les utiliser. »

Vrais problèmes
Michel Jordi est bien placé pour mesurer l’approche différente du SAV selon le type de production, lui qui a connu les grands volumes avec sa marque ethno des années 1990 et qui fait aujourd’hui un come-back remarqué dans le haut de gamme exclusif. « Cela tient essentiellement au choix des mouvements. A l’époque, les 90 % de mes montres étaient équipés d’un quartz ETA. C’était un jeu d’enfant avec un réseau mondial de concessionnaires parfaitement opérationnels pour assurer le service. Dans la haute horlogerie, les mouvements manufacturés posent de vrais problèmes à toutes les marques de niche qui sont là avec des quantièmes, des tourbillons ou des répétitions minutes. Je ne sais pas ce que font les autres, mais j’observe sur le terrain que même les horlogers très qualifiés refusent de toucher de telles pièces. Pour moi la réponse est simple : je viens d’engager un horloger, qui a organisé le SAV de plusieurs grandes marques sur le plan mondial. Sa mission : mettre sur pied pour nous le service le plus efficace et le plus rapide. Il y a des délais incompressibles, mais l’objectif est de ne pas dépasser quatre semaines. Pour cela, la pièce est déboîtée le jour même de son arrivée à l’atelier. »

La structure qu’il a mise en place est légère, une plaque tournante, en quelque sorte, de cinq personnes. C’est tout. C’est jouable, à condition d’être sûr de ses fournisseurs et de ses partenaires. C’est là qu’on retrouve le choix des mouvements : « Nous travaillons avec d’anciens calibres, qui ont largement fait leurs preuves comme le Valjoux 23 créé en 1916 et dont la fabrication s’est arrêtée en 1974. Je dispose de deux lots, un pour la production et un deuxième que je réserve… pour le SAV ! » 
Avec Jaeger-LeCoultre, on change d’échelle et de siècle. Dans la manufacture du Sentier, qui jongle avec quarante calibres maison de 300 à 400 composants chacun, le SAV est logiquement intégré à tous les stades de développement des nouveaux produits. C’est une préoccupation constante. « Quand on observe un taux de retour trop important sur un calibre, indique Jérôme Lambert, on l’abandonne. C’est ce qui nous a conduits à développer le mouvement autotractor et à le dédier aux montres sportives. Si une montre est effectivement portée pour faire du sport, il ne suffit pas de lui donner un look sportif. A un gars qui a payé 15 000 euros sa montre de sport, vous ne pouvez pas lui dire de ne pas la porter à la plage et de ne pas faire de tennis, ni du golf ! » Pour éviter des retours prématurés chez l’horloger, il faudrait parfois préciser que certains modèles sportifs sont réservés aux sports… suivis à la télévision. 
Jaeger-LeCoultre a poussé très loin son obsession SAV. On peut en effet considérer la nouveauté phare de cette année comme une réponse à un pur problème de SAV : le modèle Master Compressor Extreme Lab a été conçu en effet pour fonctionner sans huile… Les horlogers cherchaient depuis longtemps l’huile idéale qui supprimerait tant de problèmes… A chacun sa pierre philosophale… Fruit de recherches très poussées sur les matériaux, la solution proposée par sa suppression ne manque pas d’élégance.

Champagne pour tout le monde ? Si elle tient ses promesses, la formule sans corps gras fera tache d’huile, si on ose l’expression. Mais elle ne résoudra pas tous les problèmes, tant s’en faut. Une montre plus ou moins compliquée a mille autres raisons de s’arrêter qu’une huile séchée ou un pâté mal placé. Et pour l’ensemble du parc horloger aujourd’hui sur le marché mondial, le problème du SAV reste entier. Jérôme Lambert le reconnaît en soupirant : « Pour l’ensemble de l’horlogerie suisse, on n’arrive déjà pas à assurer la production, par manque de personnel… Je me demande vraiment comment et quand on va former les horlogers pour assurer le service après-vente. Et si le travail n’a pas été au top de la qualité en amont, il va falloir du monde pour récupérer tout ça… Le problème de la formation est encore plus aigu qu’on ne l’imagine. »

(WA n°2) Par Jean-Philippe Arm