Thomas EARNSHAW (1749-1829)
Ce qui frappe avant tout dans l’œuvre d’Earnshaw, c’est la justesse et la simplicité de ses conceptions. Elles sont arrivées jusqu’à notre époque sans rien perdre de leur valeur.
Thomas Earnshaw est né à Ashton le 4 février 1749; il fut inhumé le 8 mars 1829 dans le temple de Saint Giles-in-the Fields. Les puissantes corporations qui réunissent l’élite des horlogers du Royaume-Uni, la Clockmakers Company et le British Horological Institute, viennent d’apposer une plaquette commémorative en cette petite église, voisine de Bedford Square, où Earnshaw termina sa carrière.
Nous ne connaîtrions que bien peu de chose des cinquante premières années de sa vie, s’il n’avait laissé une publication, longitude, Appel au public, parue en 1806. Nous sommes redevables au Lieut-Commander R. T. Gould de la révélation de cette autobiographie de 300 pages, récit des luttes ardentes soutenues par Earnshaw, où il se plaint amèrement d’avoir été traité injustement par ses collègues aussi bien que par le Board of Longitude.
Le nom d’Earnshaw est inséparable de celui de John Arnold : c’est à ces deux horlogers rivaux que nous devons la construction du chronomètre de marine, de même que celle du balancier compensateur, sous la forme où ils sont encore en usage aujourd’hui.
John Arnold disputa âprement la priorité de l’invention de la détente-ressort, dont Earnshaw avait conçu l’idée dès 1780 en travaillant pour John Brockbank.
Earnshaw déclare que le projet de son nouvel échappement ayant été mis au point, il le montra sous le sceau du secret à Brockbank ; ce dernier s’empressa de la divulguer à Arnold, qui prit aussitôt un brevet d’invention.
Earnshaw avait exécuté pour son employeur des modèles de l’échappement à détente pivotée, tel que Berthoud et Arnold le construisaient à l’époque ; il avait été séduit par l’idée que si, au lieu de se déplacer sur les pivots d’un axe mobile, la détente était constituée par un ressort à base rigide, le fonctionnement gagnerait en fixité et en précision.
Ce dernier dispositif est, actuellement encore, le seul employé dans tous les chronomètres de marine à détente fabriqués en Angleterre aussi bien qu’en Suisse, en Allemagne et aux États-Unis. La fig. 3 en reproduit le tracé d’après « Horology », l’excellent ouvrage de M. J. Eric HaswellI, paru en 1928.
Arnold et Earnshaw eurent tous deux à exécuter, aux frais de l’Amirauté, un modèle à échelle agrandie de leurs échappements, au cours des investigations dont les commissaires du Board of Longitude furent chargés pour juger de leurs revendications. Nous sommes heureux de reproduire le modèle d’Earnshaw, grâce à l’amicale obligeance du LieutCommander Gould, qui eut la bonne fortune de le retrouver à l’Observatoire de Greenwich.
Ce modèle, en fort mauvais état, put être identifié parmi d’autres pièces ignorées, conformément à sa description, parue en 1806. L’échappement remis en état est depuis lors utilisé à titre démonstratif (fig. 1) par l’École de navigation de Porstmouth.
C’est à Earnshaw également qu’est due la méthode de fabrication des bilames des balanciers compensateurs, toujours universellement employée. Tandis que John Arnold exécutait séparément les lames bimétalliques, reliait ensuite par un soudage l’acier et le laiton, puis les cambrait à la forme voulue pour les visser sur un bras diamétral, Earnshaw imagina de former l’ensemble du balancier bimétallique par un procédé de fusion.
Il unissait les parties constitutives de la bilame de la façon la plus intime, en façonnant d’abord, au tour un disque d’acier percé en son centre, et en y pratiquant une rainure cylindrique circulaire. Le disque, chargé de laiton en grenaille et de borax était chauffé jusqu’à ce que le laiton en fusion remplisse complétement la rainure, de manière à faire intimement corps avec les parois d’acier.
Après refroidissement, Earnshaw remettait le disque sur le tour, formait l’anneau de la bilame aux dimensions voulues, après en avoir écroui l’enrobage de laiton ; puis il procédait au découpage du bras diamètral, et enfin au perçage des trous destinés à recevoir les vis réglantes. Il découpait alors son anneau en deux régions diamétralement opposées, pour obtenir, après un recuit convenable, deux lames bimétalliques ayant chacune une extrémité libre, les extrémités fixes faisant corps avec la barrette diamètrale elle-même.
Le centrage étant rigoureusement observé au cours du travail, les bilames restaient régulières sur tout leur pourtour. La pièce sortait ainsi d’une venue ; l’adhérence des métaux et la stabilité des bilames étaient aussi parfaites que possible. Earnshaw fait précisément remarquer que son procédé réalise « un balancier au sens exact du terme, égal dans toutes ses parties.» (Fig. 5.) Grâce à son organe régulateur et à son échappement à détente ressort, l’auteur surpassa sans conteste les constructions de John Arnold, aussi bien que celles de tous ses confrères, mais il fut moins heureux dans la confection des spiraux. Il les exécutait en fil d’acier doux durci au laminage, mais non trempé, de sorte qu’au cours du temps, les marches étaient parfois sujettes à des écarts.
Earnshaw s’efforça de réaliser l’isochronisme des oscillations, et il étendit l’emploi du spiral cylindrique à l’ensemble de ses chronomètres de marine et de ses chronomètres de poche.
De longues années s’écoulèrent sans qu’il parvînt à tirer parti de sa réputation pour s’émanciper de la tutelle des maisons qui l’employaient.
Lorsqu’en 1789, Nevil Maskelyne eut à procéder à l’Observa.toire de Greenwich à l’étude d’une pièce déposée par Earnshaw, il fut si satisfait du réglage qu’il l’engagea à déposer deux nouveaux chronomètres afin de concourir pour le nouveau prix de dix mille Livres sterling offert par le Board of Longitude.
En 1798 et au cours des années qui suivirent, Earnshaw tenta à trois reprises d’obtenir cette récompense. Bien qu’il n’y soit pas complètement parvenu, les conditions de son échec, et la marge infime qui l’a écarté du succès final montrent qu’à l’époque, il n’avait à redouter aucun rival.
Pour répondre à l’objection de ses adversaires, que la supériorité de réglage de ses garde-temps était surtout due à la perfection connue de sa main-d’œuvre, Earnshaw avait exécuté plusieurs chronomètres où la plupart des organes ne comportait aucun fini. Dans sa lutte contre John Arnold, il montrait ainsi, sinon la priorité de ses inventions, tout au moins la valeur pratique de leur application.
Earnshaw parvint à distancer les performances des deux célèbres montres de son concurrent, les No 36 et 63, dont les marches avaient fait sensation à Greenwich en 1779. John Arnold était mort sur ces entrefaites. Le Board of Longitude résolut de payer à son fils ainsi qu’à Earnshaw, en déduisant les montants déjà versés, une somme égale de trois mille Livres sterling sur le Prix de dix mille Livres qu’avait offert le Parlement.
Les destinataires devaient remettre comme l’avait fait John Harrison, une description illustrée et complète de leurs appareils.
Earnshaw reçut son Prix le 12 décembre 1803, et présenta ses plans et ses explications le 7 mars 1805, en même temps que le fils de John Arnold, dont il était ainsi déclaré l’égal.
Mais il voulait avant tout proclamer sa supériorité sur ses rivaux. Il fit alors paraître dans les journaux le récit de ses luttes, en accablant d’injures ceux qui avaient été partisans d’Arnold.
Longitude parut aussitôt après.
Pour l’information du public, les Commissaires publièrent en 1806 les textes remis par les constructeurs des chronomètres, en les accompagnants d’explications nécessaires.
Puis en 1808 Earnshaw présenta au Parlement une pétition renouvelée l’année suivante, où, se basant sur ses travaux pour l’amélioration des chronomètres, il sollicitait une récompense supplémentaire. Les commissaires chargés d’examiner la pétition constatèrent que l’auteur avait effectivement produit une quantité d’excellents chronomètres, plus grande que celle réalisée par tout autre artiste ; mais leur rapport conclut en déclarant l’impossibilité de revenir sur le montant de la récompense faisant l’objet de la revendication.
Au début de la chronométrie, les constructeurs étaient tenus de réaliser de leurs propres mains l’ensemble de leurs créations, de sorte qu’ils ne pouvaient exécuter qu’un nombre de pièces extrêmement limité. C’est ainsi que les derniers garde-temps de John Harrison lui avaient imposé plus de trois années de travail. Pour établir, sur ordre du Bureau des Longitudes, la réplique de la montre marine n° 4 de l’illustre précurseur, il ne fallut pas moins de temps à Kendall, qui eut ensuite à consacrer deux années entières à la terminaison des dupliques.
Mudge avait prévu un délai de trois années pour la livraison de son premier instrument ; puis il mit deux années à construire les pièces connues sous le nom de la «Bleue » et la «Verte». Ferdinand Berthoud ne produisit guère que septante machines horaires pendant quarante ans. Son continuateur Louis Berthoud travaillait un peu plus rapidement, et le total de sa production de vingt-sept années s’élève à cent cinquante pièces environ.
Arnold et Earnshaw parvinrent l’un et l’autre à terminer plus de mille chronomètres au cours de quarante années d’activité. Ils en faisaient exécuter les diverses parties par des spécialistes qu’il savaient formés, et se réservaient les opérations finales de la pose du spiral et du réglage, considérées comme de précieux secrets.
La marine anglaise, en plein développement, avait besoin de nombreux garde-temps pour déterminer ses longitudes, et ces ingénieux horlogers purent ainsi appliquer à une production plus intense les théories de la division du travail, que leur célèbre contemporain Adam Smith avait publiées. Earnshaw poursuivit jusque peu d’années avant son décès la construction des chronomètres.
Cette fabrication concentrée dans le quartier de Clerkenwell était devenue une spécialité importante de l’industrie horlogère. L’atelier d’Earnshaw longtemps installé dans le voisinage du n° 119 de High Holborn, où sont actuellement les bureaux de Zénith, fut démoli en 1901, lors de l’élargissement de cette voie.
Avec Thomas Earnshaw, mort il y a un siècle à l’âge de quatre vingts ans, a disparu le dernier représentant de cette petite cohorte des premiers pionniers de la chronométrie. Nous lui devons la conception finale de l’admirable instrument qui, jusqu’à notre époque et à l’emploi des signaux horaires, est resté pour le navigateur comme pour le savant le guide fidèle et sûr.
C’est à Mr. H. Otto, professeur au British Horological Institute que revient l’initiative du projet, transmis au Conseil du Comté de Londres, de célébrer, tout près des lieux où il vécut, le souvenir du grand artiste que fut Earnshaw. Le Horological Journal de février rappelle les circonstances de cette émouvante commémoration, à laquelle s’associe le monde entier de la chronométrie.