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Jacques-Frédéric HOURIET (1743-1830)

Les petits garçons aiment bien se promener le nez en l’air, mais ce jour-là, le petit Jacques-Frédéric regardait à ses pieds. Il cherchait peut-être des escargots, occupation d’autant plus naturelle que, fils de cultivateur, il rentrait tout droit d’un séjour de deux ans dans la grande ville alsacienne de Mulhouse, où on l’avait envoyé apprendre l’allemand.
L’histoire, d’ailleurs, ne dit pas s’il en rencontra. Mais ce qu’il ramassa par terre allait décider de son avenir: le petit Houriet trouva une montre.

Les montres étaient rares en 1754 et les montres perdues bien plus rares encore, à cause de leur prix et du soin qu’on en prenait… 
Jacques-Frédéric Houriet avait alors 11 ans. Il examina l’objet avec beaucoup de curiosité, l’ouvrit, et fut proprement saisi d’admiration. La montre fut rendue à son propriétaire, le médecin de l’endroit, mais son souvenir ne quitta plus l’enfant. Cette étonnante et minuscule mécanique l’avait tellement impressionné qu’il en parlait constamment à son père, l’accablant de questions, le suppliant de lui faire apprendre le métier d’horloger.

La profession n’était pas commune à cette époque, mais frappé par la détermination de son fils, le père prit chez lui un horloger qui enseigna au garçon les rudiments de son art. 
A 14 ans, Jacques-Frédéric n’avait rien perdu de son enthousiasme pour l’horlogerie. Son père, en décidant de le placer en apprentissage, fit un choix décisif en le confiant à Abram-Louis Perrelet.
Après trois ans passés dans l’atelier du grand maître horloger, Jacques-Frédéric décida de voir autre chose.
Avoir 16 ans et voir Paris! Cette ambition pouvait paraître excessive chez un enfant élevé dans les montagnes du Jura. Mais non seulement il partit, il trouva même à Paris du travail au service de Julien LeRoy, horloger du roi Louis XV.

En dépit de la formation exceptionnelle qu’il avait reçue, le jeune Houriet fut à deux doigts de se décourager devant les difficultés du travail qu’on lui demandait. Mais à force de volonté, et grâce à son remarquable talent, il fit bientôt des progrès stupéfiants.

Il rencontra d’autres Suisses, « princes de la science de l’horlogerie », qui l’aidèrent et le conseillèrent.
Jacques-Frédéric Houriet avait à peine plus de 20 ans lorsqu’il construisit, toujours à Paris, une pendule compliquée de haute précision. 
Un demi-siècle après, elle n’avait encore jamais varié d’une minute entière par an, et servit pendant tout ce temps à régler les chronomètres fabriqués par Houriet.
Le jeune Houriet n’avait que 24 ans lorsqu’il revint, mûri et stimulé par son séjour à Paris, se fixer au Locle pour y fonder un établissement avec son beau-frère.

Pendant près de 40 ans, il se consacra à la fabrication, soucieux de constamment améliorer ses méthodes et de s’entourer d’ouvriers de grand talent. Il étudiait sans relâche, avec une patience méthodique, les ouvrages et les inventions de ses prédécesseurs. Lorsqu’il n’eut plus d’anciennes découvertes à étudier, il se mit à inventer lui-même. Ses spiraux isochrones, par exemple, lui valurent un brevet de l’Institut National de Paris.

Quand Houriet atteignit la soixantaine, on pouvait croire qu’il allait jouir en paix du succès de son entreprise et des fruits de ses découvertes. Mais la vie en décida tout autrement et donna à Houriet l’occasion de prouver de quoi il était encore capable. De graves difficultés vinrent entraver ses affaires. En 1806, à l’âge de 63 ans, il repartit avec un courage exemplaire. Il fonda une nouvelle maison de commerce avec un de ses fils, et recommença à voyager.

Mais Houriet comprit que s’il voulait arriver à quelque chose, il devait abandonner la fabrication courante pour se consacrer à des modèles de haute horlogerie. Il se préoccupa dès lors spécialement de perfectionner les spiraux et de résoudre les problèmes de l’isochronisme. 
Il inventa pour les horloges un spiral sphérique dont les deux extrémités constituent les pôles.
Houriet fut le premier à installer chez lui une petite lunette méridienne pour déterminer l’heure exacte. A son exemple, les plus habiles horlogers neuchâtelois commencèrent à faire eux-mêmes leurs observations astronomiques, habitude qui devait grandement contribuer au succès de leurs efforts.
Les travaux de Jacques-Frédéric Houriet, notamment ceux qu’il consacrait à l’amélioration de « l’horlogerie nautique », eurent un écho considérable parmi les initiés.

En l’accueillant au nombre de ses membres, en 1818, l’Académie des Sciences de Paris lui fit un honneur pleinement mérité. La même année, âgé de 75 ans, il se retira des affaires pour donner tout son temps à ses recherches. Ses expériences sur la dilatation des métaux lui donnèrent l’idée d’un thermomètre métallique en forme de montre, qu’il mit au point et vendit en grandes quantités. Plus tard, il exécuta un thermomètre métallique de très grandes dimensions; il contenait deux lames, pesant ensemble près de 20 kilos, dont les mouvements, par l’effet de la dilatation et de la contraction dues aux variations de la température, suffisaient à remonter continuellement une horloge. Ce principe devait, un siècle plus tard, inspirer l’une des plus remarquables manifestations de l’art horloger moderne: la petite pendule suisse à mouvement perpétuel qui vit indéfiniment « de l’air du temps », sans entretien ni quelconque intervention extérieure.

En 1821, le capitaine Parry, le fameux explorateur, se plaignit au retour d’une expédition au Pôle nord, que ses horloges marines avaient été déréglées. Houriet, après de longs travaux sur le magnétisme, construisit alors le premier chronomètre fait entièrement de laiton, d’or et de platine, à l’exception du ressort et des axes en acier. 
Placé dans le champ magnétique d’un aimant puissant, ce chronomètre n’accusa aucune variation. 
A 85 ans, Houriet travaillait encore et ne laissait à personne le soin de faire le balancier et le spiral de ses chronomètres ainsi que le réglage dans les différentes positions. Mais il devait mourir subitement à l’âge de 87 ans.

Tous ceux qui l’ont approché se sont toujours réjouis de l’amabilité et de l’humeur enjouée de cet homme dont la légèreté de main, alors qu’il était presque nonagénaire, n’avait d’égales que la vivacité d’esprit et la régularité avec laquelle il se mettait tous les jours au travail… Dans sa simplicité, il fut réellement un grand homme. Et s’il fallait donner une image du prestige dont il jouissait même en dehors des milieux horlogers, il suffirait de nommer, parmi les visiteurs illustres qui prirent la peine de monter au Locle pour le voir, l’impératrice Joséphine, Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse, le prince Frédéric d’Orange. 
Mais l’honneur auquel Houriet fut le plus sensible est assurément la médaille d’or reçue de la Société d’émulation patriotique de Neuchâtel « pour la confection de la montre la plus parfaite qui soit jamais sortie de notre pays ».