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Il n’y a pas de secret à la rentabilité d’un atelier de rhabillage. Il suffit simplement d’appliquer certains principes élémentaires.

Le travail doit être fait avec conscience et compétence, le client doit être satisfait, et en général il est toujours plus sage — comme dans tout autre commerce — de dire la vérité. On est surpris de voir combien de gens, qui sont pourtant de la profession, ont tendance à oublier ces vérités fondamentales.

Si le client est satisfait parce que sa montre marche bien, sa satisfaction vaut plus que mille annonces. L’homme est par nature un animal grégaire ; il aime à s’entretenir avec des amis et connaissances. Si vous avez bien réparé sa montre, c’est-à-dire s’il est convaincu d’avoir dépensé son argent à bon escient — et ce fait lui est rappelé, consciemment ou inconsciemment, chaque fois qu’il regarde l’heure — il en parlera, et les recommandations verbales vous apporteront tout le travail que vous pourrez faire.

C’est aussi simple que cela.

Dans la grande majorité des cas, disons le 90 % des nettoyages, révisions et rhabillages, le client apporte sa montre, l’horloger l’examine et fixe un prix, le client l’accepte ; la réparation est effectuée, et si le travail donne satisfaction tout le monde est content et la semence de travaux futurs est automatiquement mise en terre.

Mais les montres étant ce qu’elles sont, et la nature humaine ce qu’elle est, les autres 10 % nous fournissent non seulement les ennuis, mais encore un certain divertissement. C’est alors que l’art de vendre une réparation devient nécessaire car cette minorité, une fois convaincue, fournit les plus zélés propagandistes. Et ce sont justement leurs difficultés qui font que notre métier est à la fois le plus intéressant, le plus captivant, le plus irritant, le plus exaspérant et le plus navrant du monde. Je n’exagère pas. Quelques exemples le prouveront…

L’autre jour, une dame d’un certain âge, très élégante, impérieuse et arrogante entra au magasin, et la conversation suivante s’engagea

– Bonjour. Je suis extrêmement mécontente de ma montre. Elle s’est arrêtée.

Bonjour, Madame, ai-je répondu poliment. Je suis toujours poli, le matin. Je regrette beaucoup d’apprendre cela. Me permettez-vous d’y jeter un coup d’œil ?

Elle l’enleva de son poignet et me la remit. C’était une montre en or de grande marque. J’ouvris le boîtier et examinai le mouvement. L’huile était complètement sèche et le ressort était cassé. Nous lui avions vendu cette montre quatre ans auparavant.

La raison pour laquelle votre montre s’est arrêtée_ expliquai-je, est que le ressort est cassé, mais en outre elle a grand besoin d’être nettoyée et huilée.

– Sottises, trancha-t-elle. Je ne l’ai que depuis quatre ans.

Je le sais. La date à laquelle nous vous l’avons vendue est indiquée à l’intérieur. Mais un mouvement de cette dimension demande à être huilé tous les deus ans environ.

– Absurde ! La montre que j’avais avant a marché vingt ans.

 Madame, je ne songe pas à mettre votre parole en doute. De telles choses peuvent arriver. Il s’agissait probablement d’un mouvement beaucoup plus grand. Mais même un tel cas est exceptionnel. Et cela ne change rien au fait que ce que je viens de vous dire est l’exacte vérité.

Vous voyez que je restais poli. La patience, c’est la mère des vertus. Peut-être s’en rendit-elle compte ou remarqua-t-elle l’effort que je faisais, car elle changea calme tout à coup de tactique.

– Vous dites que quelque chose est cassé ? Et pourquoi la montre casserait-elle ? Est-elle défectueuse ? Mon ancienne a marché vingt ans sans jamais se casser !

Je respirais profondément et comptai jusqu’à dix.

Madame, repris-je (je parlais doucement et avec calme comme on parlerait à un enfant nerveux), le ressort moteur, qui fait marcher la montre, est une mince lame d’acier, enroulée et comprimée sous une tension constante. Chaque fois que vous remontez votre montre, vous serrez le ressort dans un barillet qui est à peu près de la grandeur de votre ongle. Il n’y a rien de surprenant à ce qu’au bout de quatre ans le ressort, tout à coup…

– Jeune homme, interrompit-elle, je n’ai jamais rien entendu d’aussi stupide et ridicule ! Me serait-il possible de parler à quelqu’un de compétent ?

J’étais reconnaissant pour le « jeune homme ». Après une vie passée dans le métier, c’était vraiment un compliment. Malheureusement, je n’étais plus dans les dispositions voulues pour apprécier des compliments, car même en étant très optimiste il m’aurait été impossible de dire que je faisais le moindre progrès.

J’offris de lui faire voir un de nos ateliers où  elle aurait vu trois tours en action, et où notre contremaître aurait sorti un ressort de son barillet pour le lui montrer. Mais elle refusa de monter. La conversation se poursuivait sans progrès appréciable, lorsque tout à coup je regardai dehors.

Devant le magasin, il y avait une bonne vingtaine de mètres de limousine resplendissante, et au volant un chauffeur endormi.

Veuillez m’excuser un instant, Madame, lui dis-je, et je sortis du magasin. Quoique je puisse faire, l’opinion qu’elle avait de moi ne pouvait diminuer encore. C’était ma seule et dernière chance. Je remarquai les armoiries sur la porte et passant le bras par la fenêtre ouverte je secouais l’épaule du chauffeur.

Réveillez-vous ! on vous demande au magasin, lui dis-je d’un air sévère. L’instant d’après il était debout, à côté de moi. Cela n’avait rien de surprenant. Si j’avais dû travailler pour elle j’aurais probablement été plus leste encore.

Comment se nomme Madame ?

– C’est la comtesse de Blankshire, Monsieur. Je le fis entrer, et sans donner à ma cliente le temps de placer un mot :

Si vous le permettez, Madame la Comtesse, j’aimerais poser quelques questions à votre chauffeur.

Elle me regarda, et son silence était éloquent. Elle me croyait déjà complètement fou — peu importait donc ce que je faisais.

Vous utilisez beaucoup cette voiture ?

– Oui, Monsieur. De Blankshire à Londres et retour une ou deux fois par semaine.

Que faites-vous chaque fois, avant le départ ?

Il me regarda, ébahi.

– Vous voulez dire… à la voiture ?

Oui.

– Je vérifie le niveau de l’huile, celui de l’eau dans le radiateur, et la pression de l’air dans les pneus.

Qu’est-ce qu’elle consomme, à peu près, comme huile ?

– Environ un demi-litre aux 300 kilomètres. Les bagues de pistons commencent à s’user.

Quand ont-elles été posées ?

– Ça va faire deux ans.

Merci. C’est tout.

Il sortit. Elle voulut commencer à parler, mais n’en eut pas l’occasion. J’avais pris une respiration profonde à l’instant même où il s’était tourné vers la porte, et maintenant, c’était à mon tour de parler.

Je fus persuasif. Je lui dis que sa montre fournissait, comparativement, un travail beaucoup plus grand que le moteur de sa voiture. Celle-ci n’était utilisée qu’occasionnellement, tandis que sa montre ne s’arrêtait jamais, ni jour ni nuit. Je lui parlai des oscillations du balancier, du diamètre des pivots, de l’huile dans les pierres. 
Elle ouvrit la bouche pour parler, mais comprit que c’était inutile. Je lui dis combien de fois le balancier oscillait en une heure, en un jour, en une année. Je lui lançai des chiffres à la tête — je rappelai ce que son chauffeur avait dit et j’en tirai des comparaisons — je lui demandai ce qu’avait coûté la révision de sa voiture et n’attendis pas la réponse — je parlai de l’usure des pivots de balancier et de l’usure des bagues de piston — je lançai quelques remarques concernant la viscosité de l’huile… et me demandai si le chauffeur s’était rendormi. Puis je repris mon souffle.

Je dois avoir été éloquent. Lorsqu’elle parla enfin, ce fut pour demander, très modestement, si elle pourrait visiter l’atelier…

L’individu barbu détacha d’un poignet très sale le cuir de sa montre et demanda que nous lui mettions un nouveau ressort.

C’était une montre bon marché, plaquée or, étanche, à fond acier inoxydable. Le mouvement avait 15 rubis et, de toute évidence, n’avait connu ni nettoyage ni huilage depuis bien longtemps.

Je lui conseillai vivement de faire nettoyer en même temps le mouvement, autrement il devrait faire les frais d’un nettoyage dans quelques mois car la montre s’arrêterait certainement. Il avait donc avantage à faire faire les deux choses à la fois.

Il m’écouta sans conviction, en se grattant la barbe.

Elle paraissait en avoir grandement besoin. Il me regarda sans rien dire et continua à se gratter.

J’avais dit tout ce qu’il fallait dire. Il n’y avait rien à ajouter. C’était à lui de décider.

J’attendis donc, et tandis qu’il se grattait, je me mis à spéculer sur la nature de ses pensées : peut-être cherchait-il à comprendre ce que j’avais dit, mais ce n’était guère probable. La question était simple. Peut-être se demandait-il s’il pouvait payer plus qu’il n’avait prévu. A voir la couleur de sa chemise, qu’il portait certainement depuis un mois, c’était vraisemblable. Mais il est possible qu’il ne réfléchissait pas du tout et que son grattage acharné absorbait toute son énergie et son processus mental. C’est ce que nous ne saurons jamais.

Enfin il parla.

– Je ne veux qu’un ressort.

Très bien. Nous garantissons la pose du ressort, mais ne pouvons accepter aucune responsabilité en ce qui concerne le mouvement, qui s’arrêtera d’ici peu.

– C’est bon.

Le ressort fut posé. Il vint chercher sa montre et paya la réparation.

Quelques jours plus tard, il était de retour.

– Vous vous souvenez de cette montre ? demanda-t-il d’un ton agressif. Elle marchait parfaitement bien jusqu’au jour où vous avez posé un ressort.

Oui, répondis-je, je me souviens de la montre.

– Bon. Votre ouvrier doit avoir abîmé le mouvement. Il s’est arrêté.

Cette fois, il ne se grattait plus, il accusait. 
Je respirai profondément et lui dis, avec une parfaite urbanité, ce que je pensais de lui. Je lui rappelai que je l’avais moi-même averti que la montre s’arrêterait sous peu, vu l’état du mouvement. Je lui signalai que je lui avais conseillé de la faire nettoyer par la même occasion. Sans lui donner le temps de répondre, je téléphonai au bureau demandant que l’on descende sa fiche. 
Je lui montrai ce que j’y avais inscrit : « Nouveau ressort. Aucune responsabilité pour le mouvement. » 
J’appelai un de mes collègues qui, fasciné par le grattage, avait suivi toute notre conversation précédente, et le priai de confirmer ce que je venais de dire. Enfin, je conclus en déclarant que si jamais il arrivait à nos horlogers d’endommager les montres de nos clients — ce qui était possible car ils sont humains et faillibles — le contremaître en était aussitôt avisé et les réparations nécessaires étaient effectuées à nos frais. 
En plus, je lui fis comprendre que je n’aimais pas du tout sa façon de venir porter des accusations gratuites, et que plus vite il se transporterait hors du magasin, plus je serais content.

Il me dévisagea un long moment. Puis, automatiquement, il se mit à gratter sa barbe. Il semblait que nous étions revenus au point de départ. A la fin il parla.

– Oui, vous avez tout à fait raison. Veuillez la faire nettoyer.

Je préférerais de beaucoup que vous la fassiez nettoyer ailleurs, lui répondis-je. Vous n’avez de toute évidence aucune confiance en nos horlogers et — pour être franc — je n’ai guère confiance en vous comme client.

– Je le regrette, excusez-moi. Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir nettoyer ma montre. Il y a très longtemps que je la possède, et j’y tiens beaucoup.

On dit que ce sont les esprits mesquins qui gardent rancune. Après tout, il s’était excusé loyalement.

Nous avons pris la montre et avons nettoyé et huilé le mouvement. Il vint la reprendre. 
Le lendemain, il nous la rapportait. Il était très ennuyé. Elle s’était arrêtée. Je la montai à l’atelier et l’ouvrier l’examina. Il y avait une obstruction dans un rouage.

Nous avons demandé au client de nous laisser sa montre. Nous allions la démonter à nouveau complètement, à nos frais, conformément à notre garantie.

La chose m’intéressait, et je demandai à l’horloger qui l’avait nettoyée quelle était la cause de cet arrêt. Il y avait trouvé une minuscule parcelle ressemblant à du laiton, logée entre les dents d’une des roues.

Il m’a fallu longtemps pour la découvrir, dit-il. Je suis absolument sûr qu’elle n’y était pas lorsque j’ai nettoyé la montre pour la première fois, car j’ai contrôlé chaque roue.

Savez-vous d’où cela provient ? demanda le contremaître. C’est le fond acier vissé contre ce boîtier plaqué pourri. L’un est dur, l’autre est tendre. Etes-vous sûr de l’avoir bien brossé ?

Mais oui, très sûr.

Alors ne serrez pas trop la vis. Monsieur Audemars, auriez-vous la bonté d’expliquer au client ce qu’il en est et lui dire que sa montre n’est plus étanche parce que trop ancienne.

Lorsqu’il revint, je lui expliquai la situation. Je m’excusai des ennuis et du retard que cela avait causé. Je le vis se gratter la barbe, remettre sa montre au poignet quitter le magasin. Et pour la millième fois je demandai quand ma bonne fée se déciderait à me faire cadeau d’un petit domaine où je pourrais vivre en paix en regardant mûrir ma vigne, contempler la neige les Alpes, et deviner l’heure d’après le soleil…

Le lendemain, il était de retour. La montre était arrêtée. Cette fois, il était plus qu’ennuyé, il était furieux, point qu’il en oublia de se gratter. Il fit quelques remarques très piquantes au sujet de la conscience de nos horlogers. Il parlait d’une voix haute et agressive, et plusieurs autres clients, qui n’avaient marqué jusque-là qu’un intérêt relatif pour la couleur de sa chemise, se mirent à écouter ce qu’il disait. Ce n’était pas à l’honneur de profession.

A l’étage au-dessus, nous sommes tous autour de l’établi. A l’intérieur du mouvement, nous trouvons des parcelles métalliques. Nous trouvons aussi la clé de l’énigme. A une époque reculée de l’histoire de cette montre, le pas de vis du fond de la boite a été forcé et croisé, sorte que chaque fois que le fond est vissé à nouveau des parcelles de métal se détachent. Cette fois, nous avons fait un nouveau pas de vis, et une fois de plus il fallut démonter le mouvement et le nettoyer.

Je lui dis la vérité. Je voyais bien qu’il ne me croyait pas, mais à vrai dire je ne m’y attendais guère. Cela n’avait aucune importance. Je savais bien qu’il me croirait, plus tard, lorsque la montre aurait marché pendant quelques mois. Dans un sens, c’était autant d’efforts gaspillés, car jusqu’au jour où il aura une chemise propre, personne ne l’écoutera s’il recommande notre travail..


– Je vous prie de bien vouloir nettoyer ma montre, dit-il. Elle a été achetée ici, il y a très longtemps.

C’était une montre-bracelet or d’une très grande marque. Au dos, une inscription gravée révélait qu’elle avait été offerte à John A. Pearson, le 15 juillet 1932.

Nous serons très heureux de le faire. Quand l’avez-vous fait nettoyer la dernière fois ?

Mon canif en main, j’allais ouvrir le boîtier lorsque sa réponse me frappa.

– Eh bien… à vrai dire, je ne l’ai jamais… Je le regardai.

Vous voulez dire qu’elle n’a jamais été nettoyée ?

– C’est vrai ! J’ai fait poser deux fois un nouveau verre, mais je n’ai jamais pensé à la faire nettoyer. Elle a toujours marché à la perfection. D’ailleurs, elle marche encore très bien, mais comme je dois entrer en clinique la semaine prochaine, j’ai pensé que c’était une bonne occasion de la faire nettoyer.

Je fermai mon canif et le contemplai avec plus de tristesse que de colère. Je parlai calmement, sans passion et sans reproche. Je lui expliquai, comme on le ferait à un enfant, que sa montre est un merveilleux mécanisme de précision dont les diverses parties fonctionnent continuellement et sans répit. 
Je lui rappelai que là où il y a mouvement il doit nécessairement y avoir friction, et où il y a friction, il est indispensable qu’il y ait lubrification. Je lui expliquai la présence des rubis, leur but, leur rôle et leur fonction. J’ouvris un tiroir et en sortis une illustration représentant les diverses parties d’un mouvement de montre. Je lui montrai comment les pièces fonctionnent afin que les aiguilles puissent indiquer l’heure. J’étais patient, calme, composé. Je ressemblais au maître d’école qui dessine un chat au tableau noir et qui écrit CHAT sous le dessin. Je prenais grand soin qu’il comprît bien tout ce que je disais. Lorsque je nommais une pièce, je la désignais sur l’illustration avec mon canif — ce canif avec lequel je n’avais pas osé ouvrir sa montre de crainte de ce que je trouverais à l’intérieur. Je continuai à parler calmement tout en demeurant patient et composé, mais en plus je devenais grave et triste. 
Je lui dis ce qui devait être arrivé aux pivots du balancier. Je laissai libre cours à mon imagination et lui peignis un tableau terrifiant de l’aspect que devait avoir sa roue de centre. Sans faire de pose je décrivis l’agonie des pivots tournant dans une hideuse mixture d’huile sèche, de poussière et de saleté — mus sans répit par un ressort moteur dont l’énergie, lentement mais sûrement, s’épuisait dans l’injuste obligation de devoir faire marcher le rouage heure après heure, jour après jour, mois après mois, et année après année contre une résistance si effarante que s’ils le voyaient tous les horlogers de la fabrique qui l’a faite en auraient des cauchemars.

J’ouvris un autre tiroir. Je sortis catalogue après catalogue, garantie après garantie. Je lui fis voir que les membres éminemment respectables de la F.H. supplient tous ceux qui achètent leurs produits de les faire huiler régulièrement, de préférence tous les dix-huit mois ou deux ans. Puis je retournai la montre et mis le doigt sur l’inscription, pour le cas où il l’aurait oubliée. 15 juillet 1932. Cela faisait vingt-trois ans.

A ce moment-là il avait plutôt l’air de l’homme qui ferait bien de ne pas attendre encore une semaine pour entrer en clinique. Mais je n’avais pas encore fini.

Si vous me l’aviez apportée régulièrement, lui dis-je en guise de conclusion, le démontage et l’huilage auraient été une question de routine, et peu coûteux. Tandis que dans les circonstances présentes je crains fort que cela ne vous revienne cher.

Il fut très courageux, et ébaucha même un sourire.

– Cela ne fait rien. C’est sans doute ma faute, mais elle en vaut bien la peine.

Assurément. C’est une excellente montre. Mais je n’aime pas penser à toutes les pièces que nous serons obligés de remplacer. Veuillez vous asseoir un instant, Monsieur, je vais la faire examiner par notre contremaître.

A l’établi, nous n’avons trouvé aucune trace d’usure. C’est difficile à croire, mais absolument vrai. Nous avons complètement retiré le balancier et en avons examiné les pivots attentivement. Il n’y avait pas trace d’usure. Ils étaient comme neufs, et pourtant la montre avait marché sans arrêt pendant vingt-trois ans…

Je redescendis donc au magasin et dis la vérité à mon client. Sa montre ne demandait qu’un simple nettoyage et de l’huile fraîche. J’avais passé vingt minutes à vendre une réparation inexistante. Pourtant, malgré la perte de temps, ce fait donne un certain poids à mes remarques précédentes concernant le métier d’horloger. Si seulement ma bonne fée pouvait lire ces pages..

Par Pierre AUDEMARS