Décriée par les maîtres horlogers, l’amélioration de la précision offerte par le mécanisme Tourbillon semble réhabilitée. En effet, trois montres bracelet Tourbillon coiffent le palmarès du concours de chronométrie relancé par le Musée d’horlogerie du Locle en 2009. Qu’en est-il?
Le feu aux poudres.
Le premier à avoir lancé le pavé dans la marre est Jean-Claude Nicolet, maître horloger reconnu par ses pairs et par le génie de ses inventions. C’était, si je ne me trompe, en 1998, à l’heure ou quelque maison, pourvoyeuse de soutiens, relançait ce mécanisme à grands renforts d’efforts marketing. Sans malice aucune ni intention de nuire, mais juste parce qu’il lui semblait que la tribune où il s’exprimait aurait supporté cette allégation scientifique, l’ancien professeur du technicum de La Chaux-de-Fonds –trente années d’enseignement émérite, émet l’hypothèse que le mécanisme génial, peut nuire à la précision. Ces mots sacrilèges, jugés horlogèrement incorrects, lui vaudront d’être exclu des sphères gravitant autour du MIH, le Musée International d’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds. Quelques mauvaises langues railleuses lanceront même l’idée que cette opinion était celle d’un homme qui ne savait pas en fabriquer. Le maître en eut vent et, dans le secret de son atelier de la Rue de l’Aurore, en fabriqua trois exemplaires, jugés exceptionnels.
En 2000, dans le glossaire d’un guide horloger, celui qui fut le premier horloger à recevoir le prestigieux prix Gaïa en 1993, réitère son opinion, apparemment partagée dès lors par nombre de ses pairs, des grands horlogers de la fin du vingtième siècle: «le tourbillon est inutile, voire nuisible au bon réglage des montres.» Et de développer: «En logeant l’organe réglant et l’échappement qui entretient son mouvement dans une cage tournante, le génial horloger Abraham-Louis Bréguet (1747-1823) pensait pouvoir supprimer le défaut par brassage, après avoir remarqué qu’une montre de poche accusait des variations de marche entre les différentes positions verticales, dues au défaut d’équilibre du système balancier-spiral. L’observation statique d’un mouvement tourbillon semble lui donner raison et comme la sa réalisation est aussi difficile que spectaculaire, toutes les caractéristiques d’un créneau de vente intéressant sont réalisées. En réalité, les bons résultats de marche n’apparaissent que si la montre occupe chacune des positions pendant des durées égales, ce qui n’est jamais le cas des montres bracelets portées… On continue d’en fabriquer parce que c’est beau. C’est même plus beau quand c’est inutile, comme chacun sait.»
«C’est un personnage» écrit de lui Claire-Lise Droz dans L’Express du 2 décembre 2006. L’homme n’a pas la langue dans sa poche, c’est un franc-tireur. Tant il a fui les honneurs, son œuvre reste méconnue, à l’exception de la plus grande horloge du monde -25 mètres de hauteur, qui habite la tour «Espacité» à La Chaux-de-Fonds, munie d’un échappement de son cru et d’une première mondiale: le point d’impulsion qui entretient son mouvement a été déplacé vers le bas. Tous lui prédisaient l’impossibilité de la chose.
Quoiqu’il en soit, pour avoir eu l’occasion de soumettre ses allégations à plusieurs horlogers reconnus, il semble que maître Nicolet n’ait pas été le seul, sur un plan purement intellectuel et chronométrique, à mettre en doute le message d’un tourbillon synonyme d’une précision accrue.
Soudaine remise en question?
Voilà qu’à la surprise générale, les trois meilleurs scores du concours de Chronométrie 2009 lancé dans le cadre de son cinquantième anniversaire par le Musée d’Horlogerie du Locle –Château des Monts, sont des modèles Tourbillon: la Master Tourbillon et la Reverso Gyrotourbillon de Jaeger LeCoultre, respectivement en première et deuxième position, la LUC Tourbillon 16/1906 de Chopard pour la troisième place.
Le journaliste Alan Downing, dans une enquête fouillée parue dans le magazine Watch Around (N° 009 / printemps-été 2010), détaille pour la première fois la quasi totalité des résultats et des performances. Il complète ainsi l’annonce officielle des vainqueurs et brise l’anonymat des scores voulu et prôné par le règlement du concours. Histoire de préserver la fierté des marques participantes privées de l’une des deux premières marches du podium, histoire de ne pas effrayer les candidats aux prochaines joutes chronométriques programmées pour 2011.
En fin limier, il a pris le temps d’appeler chacun des neuf autres participants. Il en ressort que, dans les rangs du Jury aussi, l’étonnement était au rendez-vous quant aux bonnes notes du tourbillon, comme le confesse dans cet article l’organisateur du concours, Claude-Henri Chabloz: «Tout le monde a été surpris que le gagnant soit un modèle tourbillon».
Le maître Nicolet aurait-il été (enfin) désavoué? Pas si sûr! La quatrième place n’est-elle pas occupée par deux montres d’entrée de gamme? Une Swatch et une Tissot, toutes deux habitées par un simple calibre ETA 2824! Vous savez, ce genre de mouvement à qui l’on donne affectueusement, au pays des horlogers, le nom de tracteur.
Un métier reçoit la palme.
Ainsi donc, la vérité serait ailleurs. Jean-Daniel Dubois, l’actuel Président de la SSC –Société Suisse de Chronométrie, insiste sur la dimension humaine, dans ce genre de confrontations, d’un métier qui peut faire toute la différence: celui du régleur.
D’ailleurs, en feuilletant les archives du magazine JSH –Journal Suisse d’Horlogerie, le nom de la marque victorieuse n’était jamais orphelin, sur le bulletin de marche, du nom et du prénom du régleur.
Loin de minimiser les performances méritantes des tourbillons vainqueurs, Jean-Daniel Dubois n’est pas étonné que les trois modèles primés proviennent de deux sociétés dont la taille signifie qu’une suffisance de moyens a pu être mis au service des montres en lice. Des moyens aptes à surpasser toute faiblesse intrinsèque d’un mécanisme enchanteur qui n’en finit pas de faire rêver et… de faire couler de l’encre. Quoiqu’il en soit, la complication du tourbillon, quelles que soient les avancées techniques et innovantes de son interprétation moderne, atteint le mieux de sa forme grâce à la maîtrise humaine des arts du réglage.
A lire également, «Le Tourbillon enfin réhabilité?», article de Fabrice Eschmann du BIPH à paraître dans le prochain JSH –Journal Suisse d’Horlogerie.
A visiter jusqu’au 26 septembre 2010: l’exposition «Aux Temps des Chronométriers», la nouvelle exposition temporaire du Musée du Locle. Y sont présentés les 16 pièces du Concours ainsi que les «enjeux liés aux concours de réglage organisés par les observatoires astronomiques et chronométriques.»
Concours de Chronométrie.
Dès 1772, ils se déroulent à Genève. L’Observatoire de Neuchâtel atteste de l’exactitude des garde-temps dès 1860 et un véritable concours est institué en 1866. Dès 1945, des épreuves officielles sont instaurées à Neuchâtel pour les montres bracelets. Au début des années 70, avec l’arrivée des montres à quartz, ces concours s’éteignent. En 1999, sous l’ère de la Conservatrice du Musée du Locle Cécile Aguillaume, un nouveau concours «Chronométrie 2009» est relancé, presque quarante ans plus tard!