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Des devis de réparations exorbitants, des composants sciemment ôtés pour éviter que le consommateur n’aille faire réparer sa montre ailleurs et des délais dissuasifs. Au monde du SAV –Services Après Vente– des marques horlogères, on recherche parfois désespérément le mot service…

Parlez-en un peu autour de vous. Vous verrez, c’est comme avec les rancoeurs accumulées contre les assureurs, chacun s’en ira de sa litanie, de sa complainte, incriminant ici une marque, là une frustration. Au risque de vous déplaire, je ne citerais pas de nom dans ce billet. Non pas que je n’en aie pas, mais il ne m’appartient pas à partir d’anecdotes d’établir des règles générales. Et puis, outre le fait que chacun se reconnaîtra, j’ai surtout foi que les choses ne peuvent qu’évoluer dans le bon sens, d’autant que le lien direct que les outils internet ne cessent de tisser entre le client final et l’enseigne mère, ajoute en pression en vue d’une inexorable révolution au monde du SAV horloger.

Confiance extrême 
Lorsqu’un consommateur ramène sa montre en révision ou en réparation, il fait acte de confiance. Il s’abandonne, comme un patient face à son médecin. Dans sa vie de consommateur, c’est le moment où il est le plus enclin à croire ce qu’on lui dit. S’il n’est pas coutumier de la chose horlogère, il s’offre en proie facile à la merci d’acteurs peu scrupuleux ou d’attitudes arrogantes. Un peu comme une personne qui n’y connaît rien en mécanique et qui, face à son garagiste, se trouve bien démunie.

Tout part d’une expérience récemment vécue. J’avais bien idée qu’entre le moment du dépôt d’une montre chez un détaillant, parfois éloigné du lieu de fabrication en Suisse, il pouvait bien s’écouler quelques mois, voire une année. Dans mon cas, tout démarre en Australie à Melbourne, où une de mes amies suisses, travaillant dans l’horlogerie et amoureuse des montres, se décide à faire réparer sa montre en or, un modèle de marque ancien. Soudain, changement de programme. Profitant d’un voyage express en Suisse, elle la récupère et l’embarque avec elle, dans ses bagages, afin de me la confier. Une pièce manque, a-t-elle été égarée par l’intermédiaire chargé de la récupérer ou…? Je n’ose imaginer qu’elle ait pu rester en déshérence sur quelque établi du SAV australien. J’en prends réception à Genève, lors de son passage. Je la confie aux personnes que je connais personnellement au sein de la marque, une enseigne prestigieuse.

Délai dissuasif.
Commençons par le délai. Inadmissible! Entre le moment du dépôt de l’objet, il s’est écoulé presque une année. Certes, je n’ai pas été un adepte de la relance hebdomadaire…. D’après le siège ici, de manière formelle, cette montre aurait de toute manière du être réparée en Suisse. Une remarque qui a pour effet de me troubler. Car le SAV australien, agréé par la marque en question, n’avait vraisemblablement pas l’intention de lui faire faire le voyage. Premier flou, le sentiment d’une imprécision, de celles qui érodent la confiance.

Devis dissuasif

Enfin, le devis arrive, addition plutôt salée, toutefois justifiable au su de la valeur initiale de la montre et de nos pratiques salariales. Hélas, une somme hors de portée de sa propriétaire: trois pages détaillent les opérations jugées indispensables et concluent, mise en garde explicite, que ce modèle ne peut ni ne doit être réparé ailleurs qu’au sein de la Manufacture. J’en suis convaincu, comme d’une parole d’évangile.

L’expert indépendant.
Je consulte un expert horloger, chargé au quotidien de la remise en état de pièces destinées aux ventes aux enchères de grandes maisons et de marchands prestigieux. Avec le même soin que celui dont il entoure la montre d’un million de francs qu’un collectionneur réputé vient de lui confier, il ouvre précautionneusement ma montre… Un petit mouvement et… elle fonctionne parfaitement. Il est formel. Certes, vu l’ancienneté de la pièce et le modèle, elle mérite d’être démontée, nettoyée jusqu’au dernier composant, remontée, lubrifiée puis testée côté précision et étanchéité.

Je me sens ébranlé dans mon amitié pour la marque. Soudain, une des réflexions de cet horloger me sidère: il estime déjà bien que la montre soit entière! Et de me révéler une stupéfiante réalité: il arrive régulièrement, heureusement ce n’est pas le cas de ce SAV-là, que des montres soient restituées à leur propriétaire avec une pièce manquante, afin d’éviter que son possesseur ne soit tenté d’aller la faire réparer ailleurs. Avec précision et moult détails, il me raconte ces pratiques douteuses. Naïf que je suis!

Certes, je savais qu’un SAV, c’est aussi un centre de profit dans la marche économique d’une marque. De là à l’imaginer dépourvu de scrupules… Il me fallait crever l’abcès. Car la confiance abusée peut rejaillir irréversiblement sur l’image d’une marque, pire de toute une corporation. Un seul écart suffit…

Commentaires:
Certes, les SAV sont des ‘business units’ à part entière. Il est admis que ces entités doivent, au regard des emplois qu’elles créent et des compétences qui s’y exercent, ne rien coûter à l’entreprise, voire même, on peut le concevoir, participer à ses bénéfices. Toutefois, le luxe se doit aussi de s’exprimer au travers des détails. Indépendamment du fait que dans le mot SAV lui-même, il existe la dimension de ‘service’, à trop jouer avec la confiance du consommateur, on s’expose à d’irréversibles dégâts d’image pour la marque. D’autant qu’à l’heure des blogs et forums –une réalité que certaines marques n’ont peut-être pas encore intégrée jusque sur les établis de leurs SAV–, toute frustration peut être soudainement dangereusement amplifiée. Internet n’oublie jamais rien, encore moins les casseroles.

Autres anecdotes SAV:

Un horloger m’écrit: «Je discutais avec un collègue du SAV. Un de ses amis avait une ….° qui ne fonctionnait plus. Il l’envoie chez la marque qui lui répond qu’il faut changer le mouvement. L’ami la passe alors au collègue qui constate le défaut et change uniquement une petite roue dans le module automatique. Elle s’est remise à fonctionner. L’ami envoie alors une lettre «appuyée» à la marque, restée à ce jour sans réponse.» Essayé, pas pu.


Trouvé sur le forum d’horlogerie-suisse.com: «J’ai une ….° modèle électrique de 1980 boîtier et bracelet or et acier. C’est une montre que je mets peu, simplement lors de sorties ‘mondaines’. Dernièrement la pile à rendu l’âme et l’ergot du remontoir de mise à l’heure s’est cassé. Je me rends chez mon bijoutier, revendeur agréé de la marque, il la regarde sous toutes les coutures et me dit qu’il ne peut intervenir: il faut envoyer la montre à la fabrique. Voilà ma montre sur son transport sanitaire vers la Suisse… Quelques semaines plus tard mon bijoutier me rappelle et me convoque à son officine. Résultat du devis de réparation: 8’356.00 Euros! Or, la valeur de ma montre s’élève selon certains cercles entre 3’000.00 et 4’000.00 Euros… Hormis la valeur sentimentale, je trouve ce devis démesuré sachant qu’elle est régulièrement entretenue. Je ne peux évidemment pas me rendre dans un autre cabinet médical comme on le ferait pour avoir un autre avis… Qu’en pensez vous?»

{°} Noms de marques connues de la rédaction.

Deux réalités économiques.

La première, c’est qu’une marque historique existant aujourd’hui, si elle a réussi à survivre aux crises, est en elle-même un petit miracle. Quel que soit le degré d’affectivité de tous ses possesseurs, y compris des modèles passés, il lui est impossible d’endosser la responsabilité des productions passées et des époques liées à des managements successifs révolus. Il se peut néanmoins qu’elle tire avantage de cette affectivité, si elle gère bien ce paramètre historique et pratique des prix de réparation justes et réellement détaillés (avec par exemple le tarif horaire d’un horloger en 2011, ainsi que le nombre d’heures nécessaires à chaque étape de la réparation).

La deuxième est le cas d’une marque récente dont la production annuelle de montres, plutôt orientées complications, serait de 1’000 pièces. Si elle n’a pas, dès le départ de ses calculs, intégré la dimension SAV dans son coût, elle peut disparaître aux abords de son 10ème anniversaire. Faites le calcul: en supposant qu’un 10% de montres revient annuellement, pour révisions, réglages ou fin de garantie, cela signifie que cette marque pourrait, après 10 ans d’existence, se retrouver avec 1’000 pièces SAV en plus de 1’000 produites. Doublerait-t-elle pour autant son personnel? De tels déséquilibres peuvent conduire à la chute… Services gratuits et autres faveurs, même au nom du luxe ultime, ne sont pas toujours envisageables. Sauf si le SAV, cet incontournable élément, a été pensé dès le départ du business plan.

{*} Lire aussi la chronique d’opinion parue le 28 septembre 2011 dans Heure Suisse N°114

Par Joël A. Grandjean /TàG Press +41