Qu’est-ce qui fait qu’une montre à répétition minutes sonne bien ? La question est vaste et peu soumise à la subjectivité.
En effet, il existe plusieurs critères pour qualifier un son de « bon », « qualitatif » ou « musical ». Reste à savoir comment faire pour l’obtenir.
Avant tout, mettons de côté la question du goût. Ce n’est pas la liberté d’apprécier le médiocre. C’est la capacité à distinguer ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. A identifier les différences dans le domaine du beau. Cette définition s’applique aux sonneries comme au reste. Alors, comment reconnaitre un « bon » son ?
Une montre à répétition minutes ne se croise pas au coin de chaque rue. Quand on arrive à mettre la main sur un modèle, c’est souvent dans un cadre peu propice. Les salons, les présentations de marques sont toujours envahis d’un brouhaha qui masque la musique ténue de ces montres. Et d’autre part, on y est tellement enthousiasmé ou fasciné par le modèle qu’on le nimbe d’impressions qui dénaturent au jugement. Ou au contraire, si on n’est pas convaincu par la marque, on n’arrivera pas à lui reconnaitre tout son mérite. Comme la dégustation d’un vin, l’écoute critique est le produit de l’humeur et de l’environnement. Mais avec des enregistrements et un logiciel d’analyse de spectre sonore, on arrive à s’extraire du moment, à se concentrer et à décortiquer un son.
Pour une montre, la chose est finalement simple, comparé à la reproduction sonore d’un orchestre philarmonique. Dans l’immense majorité des cas, il n’y a que deux notes, un rythme constant à suivre et une mélodie qui dépasse rarement les 20 secondes. La qualité de chaque son est d’autant plus importante, comme un sashimi où la qualité du poisson est seule à intervenir. Elle doit donc être impeccable. Une répétition minutes se déguste. Le son doit être intense, long et riche.
Puissance
Intense, cela veut dire que la montre doit sonner fort. Car après tout, il faut bien l’entendre, pas seulement en se la collant contre l’oreille. Une telle montre s’écoute donc au poignet, c’est son écosystème. Pas appuyée sur une table, ni sur un support amplificateur passif en bois de résonance. La montre n’est pas un objet sacré et il faut la laisser dans son habitat naturel : au bout d’un bras. Les marques qui ne sonnent pas fort traitent la question avec un léger mépris. Leurs calibres sont souvent anciens et décalés par rapport aux nouvelles attentes du marché. Les acheteurs sont moins puristes, leurs exigences ont grandi et ils recherchent des sensations nettes. Or il est possible de concilier qualité et quantité. Au poignet, cela commence à une intensité mesuré à l’air libre autour de 55 dB.
Durée
Long, cela veut dire que le timbre résonne pendant longtemps.
Une répétition minutes de poignet est le descendant lointain d’un carillon d’église ou de beffroi. Le son doit rester suspendu dans l’air, non plus des campagnes, mais d’un bureau ou d’un salon. Ce qui implique de ne pas faire sonner la montre trop vite. Cela peut dissimuler des notes trop courtes ou interrompre une longueur de note réussie. Pour la même raison, le son doit être riche. C’est la notion la plus difficile à qualifier.
Un exemple : entre un violoniste professionnel et le voisin du dessus qui vous arrache le tympan avec ses gammes, il y a une différence. C’est la maitrise de la sonorité et du potentiel de l’instrument. La richesse sonore s’entend, mais il faut de l’entrainement. (Par exemple, en ayant écrit dans des revues traitant de hifi, comme c’est mon cas). Fort heureusement, elle se voit aussi. Avec une courbe de réponse en fréquence, on observe le spectre sonore d’une montre à sonnerie en action. Chaque pic du graphique rose est une fréquence activée. Pas une note, car elle ne vient jamais seule, elle est soutenue par des harmoniques. Ces pics secondaires portent et densifient la note principale. Pour y arriver, le violoniste fait vibrer son doigt sur la table. Ce vibrato augmente la note en profondeur et le distingue encore plus du voisin du dessus… Plus une note a d’harmoniques, plus elle est riche.
Elan
Reste à savoir comment tirer tout le potentiel de l’instrument. Encore une fois, l’analogie avec le violon est pertinente. Main, archet, cordes et caisse de résonance sont remplacés par mouvement, marteaux, timbres et boîtier. Passons sur le mouvement, un article d’horlogerie-suisse.com le résume très bien.
Le marteau, ou l’archet, est souvent l’élément le plus simple de la répétition. Il est en acier et a pour fonction de frapper le timbre. Mais Jaeger-LeCoultre a réinventé le trébuchet. Pour augmenter l’intensité, ce système seconde le marteau d’un ressort lame. Quand le mouvement initie la frappe, le ressort donne un temps de retard au marteau et l’accélère, comme une catapulte. Plus de vitesse, plus de force, plus de son à encombrement égal.
Gong
Les timbres sont en acier, dont l’alliage exact reste un secret de chaque fabricant. De même que leur cuisson, car il faut passer ce fil au four pour lui donner sa rigidité et sa sonorité. Restent deux écoles : section ronde ou carrée. La section ronde est la plus courante, la plus traditionnelle et donc la mieux maîtrisée. Le secret est de donner une forme effilée (ou de sifflet) à la base du timbre, là où il est fixé au pied qui le relie au mouvement. Un affinement à cet endroit rallonge le son, jusqu’à ce que l’effet s’inverse.
La longueur du timbre détermine la note, comme la longueur de la corde du violon. L’autre école est celle du timbre carré. Aujourd’hui, Cartier et Jaeger en font usage. A l’époque, la 1735 de Blancpain aussi. L’idée est que la surface de contact entre le timbre et le marteau est plus grande, laissant passer plus d’énergie, donc d’intensité. Mais pour arriver à ce même résultat, certains liment le point d’impact des timbres ronds, comme Audemars Piguet, ou le durcissent au brunissoir, comme Vacheron Constantin.
Collé serré
En réalité, le boîtier est le point le plus critique de la sonnerie, en ce sens qu’il est le facteur d’échec principal d’un mouvement à répétition minutes.
Aujourd’hui, il existe une poignée de fabricants de ces mouvements en marque blanche. Parmi eux on trouve Christophe Claret, La Fabrique du Temps et MHC, héritier de BNB. On ne leur fait pas toujours développer de boîtier pour aller avec le mouvement. De même, certaines manufactures qui possèdent un tel calibre se contentent de l’emboîter sans plus de précaution. L’erreur est fatale.
Le potentiel d’unmouvement peut être réduit à néant par une interaction négligée avec le boîtier. La caisse de résonance est tout, demandez à M. Stradivarius. Dans une trompette, c’est elle qui transforme le pouet pouet de nos lèvres en un coup de clairon à réveiller les morts. Deux points sont essentiels : donner de l’espace et solidariser. Le premier point procure de l’amplitude au son.
Les boîtiers trop petits, trop proches du mouvement le privent d’une caisse de résonance primaire. Solidariser est un point de développement critique. Certains fixent les timbres directement à la boîte pour transmettre l’énergie au dehors le plus directement. D’autres solidarisent le mouvement et la boîte, soit par plus de vis, soit en le chassant au plus près.
Patek Philippe « chasse gras », par exemple. Cela leur suffit puisque leurs boîtiers ne sont jamais étanches, ils ne font que bloquer la poussière et l’humidité ambiante. Chez MHC ou Vacheron, on va plus loin, jusqu’à limer la platine à la main pour la faire rentrer au plus près du cercle d’emboîtage, lui-même logé dans un boîtier qui donne de l’air aux timbres. Jaeger-LeCoultre a imaginé le Crystal gong, qui fixe les timbres directement sous le verre saphir. Il sert de peau résonante, comme celle d’un tambour. Cumulé aux autres solutions Jaeger, il donne aux Master Minute Repeater beaucoup d’intensité et de richesse, mais aussi une personnalité métallique. On hiérarchise souvent les métaux du boîtier en fonction de leur célérité, de leur densité. Le titane a une personnalité sonore plus dure, plus sèche que l’or rose. Et le platine peut sonner merveilleusement bien alors qu’il est sensé être le moins propice de tous. En réalité, la composition du boîtier ne peut pas rattraper les défauts d’un mouvement ou d’une conception. A l’inverse, il ne peut pas ruiner la sonorité d’un calibre réussi. Le débat est assez vivant car il porte sur un compartiment simple du jeu. Mais on en fait bien trop de cas.
Crin-crin et train-train
Reste un composant à traiter, le régulateur. Cette pièce, qui dicte la vitesse et la régularité avec lesquelles la montre sonne, a longtemps déterminé sa vitesse par un système d’ancre. Qui dit ancre dit frottement et tic tac. Résultat, les anciens mouvements de sonnerie font un bruit de crécelle. Certains clients l’apprécient, peut-être parce qu’il les rassure, mais il s’agit d’un archaïsme complet. Aujourd’hui, les régulateurs sont à inertie, leur vitesse de rotation est limitée par le déploiement de masses au bout de ressorts. Ils sont silencieux, en tout cas en principe. Une exception notable est celui de Jaeger, qui fait un clic à la fin de la sonnerie, ce qui est dommage au vu des efforts déployés sur le reste du mécanisme de sonnerie.
Cette histoire de métal de boîtier résume le problème qui entoure les répétitions minute. Chaque marque prétend avoir la meilleure, la plus riche, la plus sonore, la plus cristalline. Le discours marketing mélangé à une complication rare et des prix intimidants décourage l’objectivité. Elle est pourtant aussi essentielle ici que sur les autres points clé de l’horlogerie, comme la chronométrie. Mais en l’absence de données de base, aisément quantifiables, on renonce.
Délicatesse
Depuis 5 ans à peu près, une nouvelle génération de montres émerge, plus puissantes, moins couteuses. Elles arrivent à rompre avec le poids de la tradition, avec l’équation économique très serrée qui limite l’innovation.
En effet, quand une montre est amortie sur quelques dizaines d’unités au cours de sa vie, il est difficile de réinventer la roue pour elle. Ceux qui développent de nouveaux mouvements n’en ont que plus de mérite. Surtout s’ils en possèdent déjà à leur catalogue, qu’ils cherchent à enrichir. Mais il reste une limite que les sonneries ne peuvent pas franchir. Dans un volume de 18 centimètres cube, on ne peut pas physiquement produire un son réellement puissant. Les réveils utilisent pour cela une énergie brute, focalisée sur une frappe intense sans recherche de musicalité poussée. L’équilibre d’une montre à sonnerie est délicat et fait intervenir plus de facteurs, horlogers et non horlogers, que n’importe quelle autre complication. Il faut donc persévérer, écouter, comparer, autant que possible, pour développer sa culture musicale horlogère.
Pour en savoir plus sur la répétition minutes, découvrez l’intérieur du mécanisme