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Antoine TAVAN (1749-1836) «Résultats particulièrement bons…. En 1816»

II est difficile de prédire quelles performances en matière de précision permettront d’obtenir, dans un siècle et demi — disons aux environs de l’an 2090 — la mention « chronomètre avec résultats particulièrement bons » qui accompagne, aujourd’hui, les montres les plus exactes… Peut-être faudra-t-il inventer, d’ici là, une nouvelle mention établissant une catégorie encore plus élevée! Par contre, en considérant les résultats obtenus par le chronomètre d’Antoine Tavan au concours organisé, en 1816, par la Société des Arts de Genève, on comprendra que la mention en sous-titre de cette notice n’est aucunement un anachronisme… Non seulement ce n’est pas un anachronisme, mais encore c’est peut-être le meilleur résultat de l’œuvre de cet horloger qui, à l’aube de l’ère industrielle, atteste l’extraordinaire degré de maîtrise technique auquel peut conduire l’exercice patient et passionné d’un métier artisanal, dans toute sa gloire.

En effet, la médaille d’or de 800 florins était promise à la « montre de poche, soit « chronomètre » qui, soumise à des changements de température de 25 degrés de l’échelle commune (Réaumur, 25° R = 31° C) et aux positions de plat et pendu, aura conservé la marche la plus régulière, dans les limites de trois secondes de variation en 24 heures, d’avance ou de retard, sur la marche moyenne, pendant un mois d’observations journalières. L’artiste pourra employer dans la construction de la montre tel échappement et tel régulateur à compensation qu’il jugera préférable ».

Deux pièces furent engagées, observées et comparées à la pendule de l’observatoire, chaque jour à la même heure, pendant 38 jours. Celle de Tavan, munie d’un échappement compensateur unique en son genre, l’emporta de haute lutte semble-t-il, puisqu’on préféra ne rien dire du tout de l’autre, ni même mentionner le nom de son auteur. Le fait que deux chronomètres seulement furent envoyés au concours, alors qu’aujourd’hui les chronomètres sont soumis par dizaines de milliers aux épreuves des Bureaux officiels de contrôle permet de mesurer le chemin parcouru depuis lors. En outre, on pressent tout le fantastique de la performance de Tavan en retenant que seul son chronomètre réussit à se tenir constamment dans la limite de trois secondes de variation quotidienne. Avec les moyens techniques rudimentaires, dont on disposait alors, il fallait du génie pour obtenir ce résultat.

Bourgeois de Genève depuis 1798. Antoine Tavan était originaire de la Drôme, où son père exerçait le métier campagnard de faiseur de sabots au village d’Aouste s/Sye. Après un apprentissage chez un horloger de Châtillon et un séjour de deux ans à Marseille. Tavan se fixa à Genève pour le grand bien de l’horlogerie. 
Artisan de haute valeur avant tout, il est surtout connu pour ses travaux pratiques, notamment la collection de 12 échappements variés, tous de la même dimension, qu’il exécuta en 1805 pour le compte de Messieurs Melly Frères, fabricants à Genève.

Présentés à l’Institut de France, ces modèles, dont trois comportaient des innovations dues à Tavan, valurent à l’artiste les éloges de la commission nommée pour examiner ses œuvres. Le rapport qui en fait foi est annexé à la description des échappements publiés à Genève en 1837 et, une seconde fois, en 1851, accompagnée de 12 planches gravées.

En 1808, Tavan présenta à la Société des Arts de Genève une montre à échappement indépendant et à secondes « mortes » comprenant deux corps de rouages; en 1825, une autre ayant deux systèmes d’aiguilles avec un seul remontage, l’un avec secondes coulées, l’autre à secondes «mortes» au centre, pouvant s’arrêter ou marcher à volonté à l’aide « d’un bouton de poussage »; l’échappement était à ancre, à repos circulaire. On peut admirer cette pièce magnifique dans la collection du Musée d’horlogerie de Genève.

Tavan construisit encore un grand nombre de chronomètres remarquables par leur perfection et qui ont beaucoup contribué à élever le niveau de la fabrication genevoise que l’industrialisation naissante menaçait. Il s’occupa activement, en collaboration avec Messieurs Pictet, L’Huillier, De la Rive et Morin père, auxquels le colonel Dufour fut invité à se joindre, de la fondation de l’École de Blanc qui s’ouvrit, le 1er juin 1824, et allait devenir par la suite la célèbre Ecole d’horlogerie de Genève. 
Est-ce à son influence au sein de la commission, que sont dues les préoccupations d’ordre moral dont s’inspire l’article premier du règlement d’admission à l’école, stipulant qu’il fallait « exercer une profession… étrangère aux lettres, avoir accompli sa 17e année et fait sa première communion, être présenté par un membre de la classe d’industrie » ?

En tous cas, Tavan fut cet homme « étranger aux lettres », mais artisan aux doigts prodigieusement habiles. Il remplaça par une connaissance pratique du métier ce que d’autres, à son époque, entrevoyaient en théorie ou calculaient « in abstracto ». Très modeste, simple et d’une grande bonté, Antoine Tavan s’éteignit à l’âge de 87 ans dans une petite maison de campagne près de Lancy. 
Il reste de ceux qui, à un tournant décisif de l’histoire horlogère, s’attachèrent à maintenir la qualité de travail, apanage des grands maîtres artisanaux du XVIIIe siècle, et condition même de la qualité, aujourd’hui comme dans le passé.