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Achetez à la brouette une centaine de calibres auprès d’une manufacture fiable. Passez-les au COSC, avant même d’y toucher. Une bonne partie d’entre eux obtiendra le certificat. Emboîtez-les et hop, vous avez produit des chronomètres… Dommage!

Un schéma provoquant? Certes. Mais on n’est pas loin d’une réalité que certains moyens et volumes autorisent. Après tout, les recalés, ces «autres» mouvements privés de mention, ne sont pas forcément perdus et peuvent bien habiter les modèles d’une autre collection de la même marque pour laquelle le critère «chronomètre» ne fait pas partie du cahier des charges. Le plus désolant dans cette histoire, c’est que le métier de régleur, cette touche humaine bordée d’attentions méticuleuses et d’une expérience que seule la durée peut engendrer, n’a plus de consistance. Or, c’est justement cette humanité-là que le client plébiscite, c’est ce qui le fait rêver.

«Chronomètre», un mot qui mérite mieux.

La mention «chronomètre» apposée sur une montre désigne sa précision. Elle est décernée par une institution agréée, comme le COSC, le Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres, qui se base sur des tests de fiabilité pratiqués non pas sur la montre finie, mais sur son mouvement. Le mot pourrait donc être beaucoup plus fort que ce qu’il représente aujourd’hui dans l’esprit du consommateur final. Les instances de la branche horlogère devraient tout mettre en œuvre, avec les mêmes moyens que pour les problématiques de la contrefaçon ou du swiss made, pour que ce terme devienne un véritable levier marketing, un atout maître en matière de vente. La marque Breitling, par exemple, en a fait un argument incontournable: il n’est pas une montre produite par la maison de Granges qui ne soit pas «chronomètre».

Hélas, chez les consommateurs et dans le grand public, preuve que la terminologie mérite d’être renforcée et travaillée, il n’est pas rare de confondre encore le chronomètre et le chronographe. Les commentateurs sportifs par exemple, une frange de population censée pourtant être plus au fait que le commun des mortels, pratiquent encore souvent l’amalgame. Répétons-le une fois encore, comme le fait Jean-Daniel Dubois, Président de la SSC – Société Suisse de Chronométrie dans une interview à paraître dans le JSH – Journal Suisse de l’Horlogerie consacré au Congrès International de Chronométrie: «Le chronomètre mesure le temps courant, avec précision, tandis que le chronographe mesure un intervalle de temps». Rien à voir donc, si ce n’est que le chronographe peut être aussi un chronomètre… Pour rappel, à ceux qui ne seraient pas encore inscrits, le thème de ce 14ème congrès est «Le Temps et le Sport, Défis Technologiques et Humains».

Temps juste, de la raison d’état à la mission horlogère.

La précision chronométrique, comme toute forme d’étalonnage, était affaire d’état, comme en témoigne l’existence des Observatoires nationaux ou cantonaux. Encore aujourd’hui, dans son expression atomique, à savoir la diffusion et le contrôle d’une fréquence qui produit des écarts infimes de l’ordre du milliardième de seconde, elle demeure assujettie au METAS, alias l’Office Fédéral de Métrologie. La «distribution du temps» est toujours un service de la Confédération, dépourvu de redevances, donc gratuit. Pour s’en acquitter, elle dispose à Prangins d’un émetteur chargé de distribuer l’heure aux environs 3’000 horloges de Suisse, des clochers, des monuments publics ou aux simples particuliers calés, pour la mise à l’heure de leurs appareils, sur un système de radio contrôle. Hélas, le territoire suisse est aussi arrosé par un émetteur allemand dont la puissance et la clientèle sont suffisamment puissantes pour que le projet de mise en conformité et de rénovation de l’émetteur vaudois soit difficilement défendable du point de vue des coûts.  Il disparaîtra en 2011 et les nostalgiques de la distribution helvétique se rabattront peut-être, par civisme ou revendication, sur le système de réglage de l’heure de leur ordinateur: un serveur confédéral relié à l’horloge atomique et accessible via ntp (network time protocole). Autrement dit, l’heure de votre computer ne sera plus celle de Steve Jobs ou de Bill Gates, mais celle de la Suisse. Pour s’y connecter, inscrire dans les préférences de votre machine l’adresse ntp.metas.ch

La dimension politique de la précision d’obédience mécanique, fonctionnant au mieux à 36’000 alternances par heure (le calibre El Primero de Zenith), s’est effacée peu à peu pour revenir de droit aux mains des horlogers. Ainsi, les scientifiques decette horlogerie-là, du haut de leurs savoir-faire séculaires, de l’intégration des nouvelles technologies dans leurs procédés sont désormais légalement les garants de la précision suisse. Une précision qui s’exprime par la mention «chronomètre» issue de leurs outils et organismes d’homologation et de vérification, tels que le COSC et ses bureaux cantonaux, ou à Genève, la nouvelle Fondation Timelab.

La SSC célèbre les arts du réglage. Nouveau concours.

A ce jour, la plus grande concentration de ces garants du temps se trouve au sein de la SSC, vénérable Société Suisse de Chronométrie, riche de plus d’un millier de membres au sein desquels circulent tant l’univers des marques, via les directeurs de production et les responsables des bureaux de recherche et de développement, que celui de la sous-traitance. L’ensemble des grands et petits patrons, la panacée d’une horlogerie tournée sur le futur tout en capitalisant sur ses deux cents ans d’histoire. Parmi les missions d’une telle structure, rendue encore plus sympathique par le fait que son bureau présidentiel fonctionne sur un principe de milice, il y a évidemment le gardiennage des savoirs, leur accessibilité ainsi que leur transmission aux relèves des écoles d’horlogerie.

Pour la première fois, la SSC lance un concours de chronométrie ouvert aux jeunes. Inspirée du concours ouvert aux marques et lancé en 2009 par le Musée d’horlogerie du Locle, cette nouvelle joute chronométrique a pour véritable objectif de célébrer les valeurs et les qualités du réglage. Succès incroyable, avec 88 inscrits. Chaque participant recevait un calibre école brut, un ETA 6498-1. Il devait le démonter, l’usiner et, à l’issue d’un investissement de travail et de minutie, le régler de manière à ce qu’il obtienne le sésame décerné par le COSC. Autrement dit, d’un simple mouvement de base, il devait créer un «chronomètre». Une quinzaine ont passé la rampe, sacré bilan! Lors du 14ème Congrès International de Chronométrie qui se déroulera les 28 et 29 septembre 2010 à Montreux (Auditorium Stravinsky), la SSC dévoilera, façon podium sportif, le nom des trois lauréats. Trois véritables doigts d’or à l’origine des trois meilleurs exploits de précision.

Grâce à ce concours, qui mériterait la plus grande des audiences, la SSC œuvre pour l’ensemble de la branche et pour une notoriété renforcée du terme «chronomètre». Indirectement, elle sert également les organismes chargés d’accorder cette qualification. Car, à lire le scénario d’accroche de cette chronique, on pourrait penser que réglage et régleurs n’ont plus d’avenir et que leur mérite est périssable face à une production industrielle qui ne cesse d’élever ses standards. Après tout, que veut le consommateur? S’il découvre que son «chronomètre» est le rescapé d’un achat massif, à la brouette, et qu’aucune main d’homme ne s’est penchée sur les battements de son cœur, il se peut qu’il ne veuille plus payer le prix du rêve.  Une mention s’obtenant si facilement vaut-elle le prix qu’on lui prête? L’abnégation et les sacrifices auxquels les régleurs se soumettent, dans l’exercice de leur art, redonne confiance. On revient toujours aux vraies valeurs…

Définitition

Un chronomètre est une montre de haute précision, capable d’afficher la seconde, dont le mouvement a été testé durant plusieurs jours dans différentes positions et à différentes températures, par un organisme officiel neutre (COSC).
Chaque chronomètre est unique, identifié par un numéro gravé sur son mouvement et un numéro de certificat délivré par le COSC. Chaque mouvement est contrôlé individuellement selon un programme d’épreuves spécifiques à chaque genre, durant plusieurs jours consécutifs dans cinq positions et à trois températures.
Chaque mouvement est mesuré individuellement. Toute montre vendue sous l’appellation chronomètre est munie d’un mouvement certifié.

Question:

Et si la mention «chronomètre» était décernée un jour à une montre finie et non pas seulement à son mouvement? L’avantage serait de pouvoir rassurer le consommateur. En effet, entre le passage avec succès au COSC et son emboîtage, le mouvement effectue un parcours qui l’expose à plusieurs sources de dérèglement jusqu’ici non quantifiables…

Par Joël A. Grandjean