18 min 3 ans 8339

Introduction

 Chaque nuit, lorsque le temps le permet, des astronomes répartis sur différents points du globe pointent une lunette méridienne vers une étoile. Au moyen d’instruments très précis et fonctionnant plus ou moins automatiquement, ils notent le passage de cet astre et font ce qu’on appelle une détermination de l’heure. C’est le mouvement de rotation de la terre qui sert de base à cette détermination. Nous ne voulons pas comparer la terre à un pendule, mais mieux à un gigantesque moteur qui fait 1 tour en 24 heures sidérales, avec une régularité et une constance qu’on admet parfaites.

Le mouvement de la terre est notre étalon de temps. Les astronomes fixent l’heure à une précision de quelques centièmes de seconde, tandis que les horlogers cherchent à conserver cette heure avec une précision tout aussi grande. Tandis que les astronomes font leurs observations avec des instruments toujours plus puissants et plus monumentaux, les horlogers, au contraire, construisent toujours plus petit.

Des horloges monumentales de l’an 1300, ils passèrent aux petites horloges de table et vers 1500, la montre, instrument horaire portatif, fit son apparition. 
Cylindrique et du volume d’une pomme de belle taille, la montre devint minuscule, jusqu’à pouvoir être enchâssée dans une bague. De nos jours, le format normal d’une montre est 30 mm de diamètre et 5 mm d’épaisseur. Depuis 1916, elle se porte au poignet généralement, détrônant le port de la montre de poche, avec chaîne au gilet, qui date de 1821. 
Le mouvement de la montre, par sa délicatesse et sa précision, par les mécanismes compliqués qu’on lui ajoute, chronographe, quantième, sonneries, remontage automatique, est une petite machine qui frappe l’imagination et suscite toujours beaucoup d’intérêt. En tant que bijou, la montre se prête à toutes les combinaisons possibles des métaux et des pierres, des formes et des couleurs, en passant du goût le plus médiocre au goût le plus raffiné.

Le choix d’une montre

Le choix d’une montre est révélateur des goûts et des occupations de son propriétaire. Les uns veulent avant tout une montre précise et se soucient peu de son aspect. Ils attachent une grande importance à la provenance du mouvement, se renseignent sur ses qualités de fabrication et de réglage. Ce sont les acheteurs éclairés parmi lesquels on trouve les fanatiques de la précision, ceux qui vérifient chaque jour la marche de leur « chronomètre » et qui sont fiers de pouvoir annoncer qu’il n’a pas varié de 1 seconde en un mois ! 
D’autres choisissent une montre aussi belle que bonne. Ils apportent à ce choix les mêmes préoccupations qui guident l’achat d’un meuble ou d’un costume, ils exigent bon tissu et bonne coupe.
Il y a ceux, et surtout celles, qui ne voient dans la montre qu’un bijou, un objet aussi petit et luxueux que possible. Peu importe le mouvement, pourvu que la présentation frappe l’œil agréablement, par la beauté du décor ou la complication du cadran. 
Enfin, il y a, probablement les plus nombreux, la grande masse anonyme qui désire la montre anonyme. Ils la veulent généralement peu coûteuse, elle doit donner l’heure et c’est tout. La montre est pour eux un objet utilitaire. Dès qu’un homme se trouve dans un milieu quelque peu organisé, la montre devient un instrument indispensable. La connaissance de l’heure, à une ou deux minutes près, règle les activités de toute communauté humaine. C’est pourquoi, de tous les objets manufacturés, la montre est probablement le plus répandu sur la terre.

Qualité et progrès 

Les progrès réalisés dans la fabrication mécanique de la montre, depuis quarante ans, permettent d’affirmer que la qualité générale a augmenté. Les principes de construction, éprouvés par une longue expérience, sont bien mis au point. 
On a éliminé successivement et parfois complètement de nombreuses causes de perturbations, l’influence des poussières et de l’humidité, du magnétisme, des chocs. Nous ne parlons pas de l’influence de la température qui peut être pratiquement annulée par le choix du balancier et du spiral. Le réglage même de la montre, c’est-à-dire l’ensemble des retouches et des observations qui doivent être faites à la fin de la fabrication, pour assurer une marche précise et stable de la montre, est traité sommairement dans les montres de qualité moyenne. 
Toute économie faite sur la qualité de certains organes, tels par exemple, le ressort, le spiral, l’échappement et enfin le réglage de la montre, se traduit par une baisse de la qualité.

La montre ne peut guère échapper à ce phénomène très général qui veut que tout objet manufacturé soit lancé dans la circulation sous la forme de la pacotille. C’est à la bonne montre de se défendre en faisant connaître au public, et dans la mesure du possible, en quoi consiste une bonne montre, quelles sont ses qualités cachées et pourquoi, au-dessous d’un certain prix, il n’y a plus de qualité et de garanties possibles. Le but de cette description est d’examiner les différentes parties du mouvement de la montre suisse, depuis le ressort moteur jusqu’au balancier, en nous limitant à des descriptions qui peuvent être comprises par tout le monde. 
Nous chercherons, chaque fois que cela est possible, à illustrer par l’image des comparaisons entre ce qui était à l’origine et ce qui est actuellement.

Si cette étude, destinée au « profane », peut intéresser l’horloger ou le commerçant, qu’il en fasse état pour convaincre ou conseiller un acheteur. Ce moyen est le plus efficace pour atteindre le public et le mettre en garde contre ce trompe l’œil qui consiste à présenter une montre de basse qualité sous les apparences de la montre sérieuse et de haute qualité.

Chapitre premier: ressort et barillet

Les premières horloges mécaniques fonctionnèrent à l’aide d’un poids suspendu à une poulie (fig. 1). 
L’illustre inconnu qui eut le premier l’idée de remplacer ce système moteur encombrant par la force élastique d’un ressort mériterait sans doute des honneurs spéciaux dans l’histoire de l’horlogerie de poche.
Avant l’invention du ressort, il était impossible de concevoir l’idée d’un instrument horaire portatif. Le ressort fut d’abord appliqué aux horloges, sous une forme très primitive, comme on le fait encore dans les réveils de bas prix. Il s’enroulait directement autour d’un arbre et son expansion était limitée par des piliers. On croit que les premières applications du ressort aux horloges datent de 1435.

Le poids avec la corde enroulée sur un tambour est l’ancêtre du moteur des appareils horaires. On est à peu près certain que la première pendule mécanique à poids date de 1300.

Pour les montres, on fixe les premières applications entre 1508 et 1510. 
Les Français prétendent que la montre fit son apparition dans le centre horloger réputé de Blois, vers 1509. 
Les Allemands revendiquent pour P. Heinlein le mérite de cette découverte à peu près à la même époque. 
Tandis que le poids moteur assure une force motrice constante, le ressort, au contraire, selon qu’il est complètement armé ou plus ou moins désarmé, donne une force motrice irrégulière. Cet inconvénient avait des conséquences désastreuses sur la marche des premières montres.

Les Allemands inventèrent une sorte de came fixée à l’arbre de barillet sur laquelle appuyait un ressort qui avait comme but de régulariser plus ou moins l’effort moteur. Ce dispositif appelé stackfreed fut supplanté (fig. 2) par la fusée, sorte de tambour en forme de cloche autour duquel s’enroule une corde à boyau, elle-même enroulée sur le tambour contenant le ressort.

Le ressort et la fusée. Le ressort logé dans un barillet fut appliqué aux horloges vers 1430. La montre avec ressort moteur fait son apparition vers 1500. La fusée fut inventée peu après pour régulariser l’effort moteur. On l’utilise encore aujourd’hui dans les chronomètres de gros format.

La corde en s’enroulant sur des diamètres décroissants égalise l’effort moteur. Cette corde fut utilisée jusque vers 1660, puis remplacée par une chaîne. Aujourd’hui, la fusée est encore utilisée dans les chronomètres de marine et reste un excellent moyen pour réaliser un effort constant du ressort. Elle prend malheureusement beaucoup trop de place pour pouvoir être utilisée dans la montre de poche. Les solutions les plus simples sont toujours les meilleures. 
Le principe du ressort qui s’arme et se désarme à l’intérieur du barillet donne de très bons résultats dans les montres modernes en calculant exactement les dimensions et en prenant quelques précautions.

Les ressorts utilisés dans les montres ont une longueur qui varie entre 150 mm et un demi-mètre. L’épaisseur varie entre 0,06 et 0,20 mm. Dans les horloges à ressort, l’épaisseur de la lame atteint 0,5 mm et la longueur 2 mètres.
Quel effort moteur ces différents ressorts peuvent-ils produire ? La fig. 3 répond à cette question en donnant pour trois grandeurs de ressorts la force qui s’exerce par la denture du barillet, force qui représente la pression des dents du barillet sur les dents du premier pignon du rouage de la montre ou de la pendule.

Fig. 3. Voici représentés un barillet de montre bracelet, un barillet de montre de poche et de pendule. Les poids indiqués sur les plateaux représentent les forces qui agissent sur les dentures sous l’action du ressort logé dans le barillet. Ces ressorts, pour les montres, assurent une durée de marche de 36 à 40 heures et pour les pendules généralement 8 jours. 
Dans la montre, le barillet tourne lentement à raison de 3 à 5 tours par jour. Dans la pendule, il fait environ 1 tour par jour.

 Dans les montres modernes (fig. 4 et 5), le ressort assure une marche de 36/40 heures. On a ainsi une réserve de marche de 12 ou de 16 heures, non utilisée. Mais si cette force est perdue, elle procure cependant un avantage, car on utilise la partie de la force motrice la plus constante. 

L’effort qu’on demande à un ressort de montre est très grand. On peut même dire, trop grand, car on dépasse toujours les limites d’élasticité respectées en mécanique. 
C’est la nécessité de loger un ressort aussi fort que possible dans le plus petit volume, qui justifie cette entorse aux lois de la mécanique.

Fig. 5. A droite, forme d’un ressort non encore enroulé dans le barillet. La partie bc est légèrement recourbée à contresens de l’enroulement. Le ressort est dit « renversé » . A gauche, forme du ressort après avoir été utilisé quelques jours. La partie bc est plus ou moins redressée. Le ressort a subi une déformation permanente admissible, a est le coquillon du ressort qui s’accrocheà l’arbre du barillet. 

Lorsqu’on enroule un ressort autour de son arbre, les spires frottent plus ou moins fortement les unes contre les autres et elles ont la tendance à s’enrouler et à se dérouler excentriquement, ainsi que le montrent les fig. 6 et 7.

Fig. 6.(à gauche) Avec un simple crochet c, l’enroulement et le déroulement du ressort se font excentriquement, d’où augmentation du frottement entre les lames. 
Fig. 7. La bride b maintient l’extrémité de la lame contre les parois du barillet. Le frottement diminue et le rendement du ressort est meilleur car le développement est à peu près

On peut remédier à ce défaut et augmenter le rendement du ressort, en utilisant une bride, petit dispositif qui complète l’action du simple crochet (fig. 8), en retenant l’extrémité extérieure de la lame du ressort contre le tambour du barillet. De cette façon, les spires s’enroulent et se déroulent presque concentriquement, ce qui réduit notablement le frottement.

Fig. 8. Le ressort r est accroché au barillet par la petite lame n qui appuie contre le crochet c du barillet. Ce crochet est solide, mais il provoque un développement excentrique du ressort. 
Fig. 9. La bride a avec son oeillet e retenu par le crochet c du barillet maintient la lame r du ressort contre le tambour. Les deux saillies a pénètrent dans le fond du barillet et dans son couvercle

L’usage de la bride était déjà connu dans les années 1700 sous le nom de « crochet à l’anglaise ». Aujourd’hui, le système de bride le plus utilisé est la bride dite « américaine », représentée par la fig. 9. Elle est constituée par l’adjonction d’une portion de lame rivée sur l’extrémité du ressort. Elle porte deux saillies qui pénètrent dans le fond et le couvercle du barillet. Un bon ressort peut donner de mauvais résultats s’il n’est pas très soigneusement ajusté dans son barillet. Nous touchons avec le barillet et son ressort à une des premières qualités cachées de la montre. 

Un ressort de qualité, mais mal ajusté dans son barillet, ne peut pas assurer une marche stable de la montre. Un autre défaut du ressort qu’on ne peut malheureusement pas entièrement éviter est la rupture. On a constaté que les brusques changements de température, l’air humide et salin, les orages aussi, paraît-il, favorisent la rupture des ressorts.

Le porteur d’une montre, dont le ressort casse, ne doit cependant pas conclure immédiatement à une mauvaise qualité de fabrication. Si regrettable que soit cet accident, il faut admettre que ce risque peut augmenter avec la qualité de l’acier. 
On conçoit facilement qu’un ressort mou, qui n’a pas de « nerf », est moins exposé à se rompre, mais il a un autre défaut plus grave ; il se déforme rapidement et perd ses qualités élastiques. Les horlogers ont épilogué longuement et diversement sur les causes de la rupture des ressorts. Les physiciens qui ont étudié ce problème donnent diverses explications. Les lames des ressorts, avant d’atteindre leurs dimensions définitives, subissent environ 80 passes de laminage et une quinzaine de recuites. 
Ces opérations peuvent provoquer des fissures dans le métal. D’autre part, malgré les précautions prises, le métal peut contenir des impuretés, du soufre ou du phosphore qui augmentent la fragilité. La rouille peut aussi provoquer d’invisibles piqûres qui augmentent de dimensions sous l’action de l’humidité.

Le problème est complexe et il est probable que la solution idéale viendra, non des horlogers, mais des laboratoires, par l’étude des alliages qui répondront le mieux aux conditions très sévères imposées aux ressorts d’horlogerie. Puisque nous parlons du moteur de la montre, on peut se demander si l’avenir réserve dans ce domaine une solution autre que le ressort. On a parlé de la pile et fait grand bruit sur une montre actionnée de cette façon. On ne peut guère admettre cette solution qui présente de nombreux inconvénients

On sait qu’il existe des horloges qui trouvent dans la dilatation d’un gaz l’effort moteur nécessaire, constamment entretenu par les changements de température. Il n’est pas exclu qu’une solution de ce genre puisse un jour s’appliquer à la montre. Le jour où on pourra réaliser une très grande réserve d’énergie, sous un volume très petit, la montre pourra peut-être en bénéficier. Mais ce problème est en somme déjà résolu par les montres à remontage automatique qui utilisent les mouvements du bras pour entretenir la marche de la montre. Cette solution mécanique, aujourd’hui parfaitement mise au point, donne d’excellents résultats. Le ressort utilisé dans ces montres est presque constamment armé. Il assure donc un effort plus constant que dans la montre qui se remonte toutes les 24 heures et les marches sont plus régulières.

Partie 2

par G.-A. Berner